D'abord, on va arrêter tout de suite les frais sur la comparaison avec "2001 L'Odyssée de l'Espace". J'entend ça partout, avec souvent le ton hautain et exaspérant qui va avec: "oui mais dans 2001 il y a un traitement métaphysique beaucoup plus ceci cela", « han mais si t'as trouvé Gravity compliqué, quand tu verras 2001 tes synapses vont griller ». D'abord ça m'énerve que 2001, un des plus grands films de tous les temps, soit systématiquement récupéré par l'intelligentsia pour qu'elle se branle dessus au mépris de nous les plébéiens. Je pense à cette émission-débat de france culture, Le Cercle, où les invités sont capables de débattre pendant 20mn d'un film sans parler une seule fois de mise en scène, de scénario, d'acteurs, de photographie, de cinéma en somme. Ensuite, 2001 et Gravity ne sont pas du tout sur la même orbite - uh uh uh. Le seul point commun qu'on pourrais leur trouver, c'est la durée de la carrière de leurs réalisateurs respectifs au moment de la sortie desdits films, soit la vingtaine d'années. Ah, si, l'autre point commun, c'est que tous deux sont des chef-d'oeuvre. Commençons par dire que Gravity n'est en rien de la S-F, qu'il aurait même tendance à avoir un pied dans le passé. Pour les besoins du scénario, Gravity fait intervenir un système de jet-pack vaguement utilisé par la nasa dans les années 80, ainsi que la navette spatiale, inusitée depuis quelques années. Pourtant on croise aussi la future station spatiale chinoise. On ne sait plus trop où on en est. En fait, on s'en cogne pas mal, car l'intérêt de Gravity est tout autre. Ce qui est d'apparence un survival comme pas mal d'autres, parfois décrié comme étant d'esprit forain, purement divertissant, révèle une puissance évocatrice énorme. Ici, pas d'ellipse depuis la préhistoire jusqu'au voyage vers Jupiter entrecoupés d'apparitions de monolithes comme dans "2001". On reste en orbite basse, vers 300-600km de hauteur. Ce qui apparait de prime comme une contrainte terre-à-terre, pour s'adapter à notre technologie spatiale extrêmement balbutiante (et on n'imagine même pas à quel point), n'entrave en rien tout l'aspect symbolique du film. Cet aspect symbolique est tellement puissant, tellement universel, qu'il interdit toute masturbation intellectuelle. A chacun de trouver les clés, de dénicher toutes les allusions, métaphores et petits clins d'oeil de Gravity. Pêle-mêle, on y trouve tant l'idée d'un recommencement éternel que du féminisme, en passant par la décadence d'un monde, sans oublier quelques influences chipées à Tintin sur la Lune... Certaines métaphores sont grossières et évidentes, d'autres plus subtiles échappent pourtant aux philosophes obtus de la presse intello. Clairement, Gravity est tout sauf un énième blockbuster "juste beau". Oui, c'est beau, mais pas que. Passé l'aspect symbolique du film, si c'est pas votre tasse de thé, on se rassure car ça reste aussi un bijou de cinéma. Tout a déjà été dit sur ses qualités cinématographiques, indéniables sauf par une mauvaise foi manifeste ou par une ignorance crasse. J'ai déjà lu des bêtises abyssales (cosmiques?) comparant Gravity à des images de la météo ou à un bête film du futuroscope. Je préfère rectifier le tir.
Le rendu de l'inertie des corps est un summum de technique. J'ai mis longtemps avant de comprendre comment a été tourné le film, ça paraît incroyable que tout fut créé en CGI, tellement c'est réaliste. Les plans-séquences sont tellement réussis, d'une telle justesse, jamais vains, que chaque point de montage nous laisse sur une petite déception. Les travellings audacieux mettent en valeur des lignes de fuite fascinantes. La séquence d'introduction, un plan-séquence magistral où la chorégraphie des astronautes en mission dégénère jusqu'au drame fondateur, est une des plus, si ce n'est la plus réussie que je connaisse, sérieusement. Le tout, au niveau du montage et de la narration, est d'une fluidité exemplaire. Autre point non négligeable, on n'a jamais vu depuis « 2001 » un traitement aussi juste de l'espace et du vide, de ce vide qui ne laisse passer quasiment aucun son hormis quelques chocs sur les combinaisons. Les scènes de destruction massive sont d'autant plus impressionnantes grâce à cette absence tellurique de bruit -contrairement à ce que laissait penser une bande-annonce désastreuse-, où les cris et les parasites radio se mêlent avec une bande-son intrigante. Les astrophysiciens en herbe pourront pinailler sur certaines contradictions aux lois de Newton, mais à ce moment le film se serait terminé au bout de 20 minutes...
Enfin, là où ça devient vraiment un spectacle qu'il devrait être interdit de regarder sur autre chose qu'un écran de cinéma -pour une première fois du moins- c'est au niveau du sound-design, qui met brillamment en valeur un gros travail sur les basses fréquences comme les suraigus, les bruitages, et cette musique fascinante. Pas toujours de meilleur goût, car on déplore quelques passages façon Ushuaïa, la musique électronique indéfinissable du jeune Steven Price colle parfaitement à l'esthétique et au rythme du film. En fait, je crains que la musique de Gravity ne devienne son aspect qui sera le plus daté d'ici 10 ou 20 ans. Finalement, il y a peu de passages totalement silencieux, mais cela ne les rend que d'autant plus impressionnants. Au cas regrettable où l'on serait aveugle, ce sound-design achève de nous clouer les fesses dans le fauteuil et les yeux sur l'écran. Et la 3D ? C'est juste LE film sur lequel ça apporte quelque chose! Le moindre boulon ou bout de machin transperce l'écran, la profondeur de champ s'étire. Là aussi, Gravity aborde une nouvelle ère, celle des films où la 3D convainc vraiment et constamment. Bon, y avait eu Avatar aussi, mais un gros passage à vide l'avait suivit.
Comme toute œuvre, Gravity est contestable. Aussi je peux lui reprocher quelques soumissions à des codes vus et revus, comme ce final boursouflé et limite incohérent avec le postulat de départ. C'est vraiment dommage, je suis sûr qu'il y avait une autre fin de prévue, mais que la pieuvre Hollywood en a décidé autrement. Mais de là à comparer Gravity avec les pires clichés du film catastrophe façon Independance Day (il y en a qui ont osé), il n'y a qu'un bond, et ce dernier n'est surement pas géant pour l'humanité. On s'abstiendra donc de ce type de jugements à l'emporte-pièce. Gravity, avant d'être le produit de studios, est le fruit de son réalisateur doué. Si quelques menues concessions accordées aux producteurs peuvent permettre à de tels films d'exister, et que le marketing qui en découle permet de toucher un plus large public que le cadre strict des cinéphiles-qui-collectionnent-les-films-de-Tarkovski-en-VHS, j'approuve cela et ça ne me dérange même pas. C'est aussi ça le charme du cinéma de genre. Certains pourrons toujours pinailler sur le rôle soi-disant sexiste de Bullock (y en a), il n'en reste rien, tant le travail abattu par ailleurs est énorme. Autant je peux concevoir qu'on déteste un Avatar, un Seigneur des Anneaux (y en a aussi) autant Gravity est d'une telle puissance, il encourage une réflexion tellement fondamentale au sens le plus strict du terme, sur notre être et notre rapport à cette chère gravité qui nous tient en vie, que le quasi consensus critique qu'il a engendré est cette fois bien mérité. C'est un pur film de survie, bordel de merde, c'est quelque chose qui nous concerne tous, quand bien même je ne suis pas cosmonaute, pas plus que vous ou qui que vous connaissiez. Ca n'est pas innocent en fait: tu fais un tel film sur des cosmonautes et l'humanité entière restera clouée sur son siège jusqu'au bout. Tu fais un drame romantique entre un prof de philo et une bouquiniste sur les bords de Seine, et tout le monde s'en branle. Et c'est bien normal. Bref, n'en retenir qu'un « film d'action au scénario minuscule » dixit télérama, c'est faire preuve de beaucoup de bassesse et de pauvreté d'esprit.
Gravity marque une date, un jalon, c'est un de ces films dont on restera fier d'avoir connu leur sortie au cinéma. C'est une expérience sensorielle inédite et ultime, qui invite à contempler, à rêver, à rire parfois, à trembler, et finalement, à verser une larme. En plus, il ne perd rien de sa superbe sur petit écran. C'est sans doute ça l'apanage des grands films. Merci Alfonso.

Biggus-Dickus
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le 2 juin 2014

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