Peut-on vraiment encore faire des films Batman en 2022? La question se pose, tant cette dernière itération tourne à vide en se reposant sur les acquis, la surface et le vernis de cet univers pourtant magnifique.

Burton aura réellement lancé Batman au grand écran en y apposant sa touche gothique et sa folie grandiloquente adaptée à la monstrueuse parade de Gotham. Laissé pour mort après les singeries de Joel Schumacher, le mythe fut ressuscité par Nolan dans une certaine radicalité de thriller réaliste et palpitant -on lui pardonnera d'avoir bâclé son troisième opus.

Mais aujourd'hui, ce Batman cru 2022, qu'est-ce, sinon:
- du Gotham craspec à la Blade Runner sous la pluie tel que vu trente milliard de fois dans les comics et les Batman vidéoludiques (qui eux même commencent à s'essouffler au bout du 4eme opus d'Arkham-ambiance-de-Blade-Runner-sous-la-pluie, bien qu'ils aient eu le culot de tuer le Joker dès le deuxième épisode) ou même dans les mille milliards de films qui ont repompé Blade Runner depuis 40 ans.
- des castagnes de bandes ultraviolentes dans le métro telles que déjà vues mille fois de Orange Mécanique à Joker en passant par le Justicier dans la ville.
- des scènes de règlement de comptes dans des strip-clubs underground mafieux verdâtres tout droits sortis de Matrix, Collateral ou encore les Hitman.
- des énigmes à la Se7en Eco+, made in enveloppes planquées dans des bâtisses abandonnées façon Fort Boyard (il y a en a 4 ou 5 comme ça à la suite, c'est un enfer).
- une intrigue policière cousue de fil blanc, à base de meurtres légèrement sadiques, chasse à la balance, vengeances mafieuses et magouilles politiciennes.
- un Batman mené en bateau du début à la fin par le Riddler alors qu'il résout toutes ses énigmes en un quart de seconde avec la sagacité d'un Sherlock Holmes, à se demander pourquoi l'autre détraqué persiste à lui poser des colles.

Mais surtout, surtout, The Batman délaye sa mythologie à la lettre près, sans aspérités, sans risques, sans envies, sans audaces. Burton avait sa pâte, Nolan aussi, même Schumacher proposait quelque chose à sa manière. Ici, tout pédale dans la semoule. Le cahier des charges est écrasant. Il faut qu'il y ait un baiser entre Catwoman et Batman, tout comme il faut qu'il y ait une faciale à la fin d'un boulard. Et tant pis si tout reste aussi superficiel, mécanique. Le trauma fondateur, le rapport à l'enfant et à l'orphelin, l'ambiguité de Bruce Wayne, la tension sexuelle avec Catwoman, Alfred qui est posé là de temps en temps pour faire vite fait le mentor mais alors vraiment vite fait, la photo toute dark parce que plus c'est dark mieux c'est (le fameux "sombre et mature" comme seule alternative à la crétinerie revendiquée des marveleries concurrentes), et puis les passages obligés, la batmobile, la batcave, le manoir, le projo, la faciale (c'est la scène post-crédits)...

Les personnages sont tous réduits à leur canevas de base, ressassé mille fois et sans valeur ajoutée. Gordon est intègre, Pingouin a une sale gueule, Alfred est stoïque, ils sont comme tout autant de coquilles vides réduites à leur look, à leur nom ou à leur fonction pour faire avancer l'intrigue. Chez Burton, le Pingouin était un gangster doublé d'un méchant mémorable. Dans ce Batman de 2022, le Pingouin, bah c'est juste un gangster. Tous n'interagissent que par des dialogues indigents, morne succession de répliques minimalistes aussi incarnées que des rapports de police. "Il s'est passé ci, on va aller là, il faut qu'on fasse ça, et gna gna gni".

Soyez audacieux, faites un truc un petit peu différent, please! Je sais pas, changez d'époque, de lieu, faites un Batman complètement taré ou cacochyme, bref, faites ce que font déjà les comics depuis un bail pour se réapproprier chacun à leur manière cette trame archi connue! Parce que là, je n'en peux plus, c'est du cinéma doudou. Les seules tentatives de proposer quelque chose de neuf, ou en tout cas de coller à l'air du temps, viennent du regard -guère subtil- qui est posé sur la criminalité de Gotham. Celle-ci n'est plus un mal absolu symbolique, mais est clairement traitée comme une révolte de petits blancs tendance alt-right/trolls/hackers contre une gentille politicienne afro-américaine, qui scandent "no more lies" et taguent "broken" sur les murs des institutions, et dont le meneur est un fondu du bocal complotiste qui balance des vidéos de ses crimes sur les réseaux sociaux. La finesse.

On peut toujours se rassurer en comparant au pire. Oui, The Batman, c'est toujours plus regardable que du Suicide Squad ou que du Batman v Superman qui sont clairement des non-films conçus pour des débiles mentaux inconscients de leur propre aliénation. Matt Reeves, à qui on doit deux sympathiques Planète des Singes, n'est certes pas le plus manchot des yes-man actuels d'Hollywood. The Batman contient de temps en temps, mais alors vraiment de temps en temps, quelques petites idées visuelles, quelques fulgurances (cette scène en suspension où Batman observe Selina Kyle devenir Catwoman dans son appart, aka je fait du Fenêtre sur Cour pendant 30 secondes), quelques jolis plans qui permettent à la bande-annonce de faire illusion, un certain sens du rythme apaisé qui prend son temps, une velléité d'ensemble de proposer quelque chose de relativement sobre, qui ne cherche pas à assourdir et à aveugler le spectateur sous une tonne de scories. Mais c'est trop peu pour faire un film intéressant, et encore moins pour -big up à Libération- convoquer carrément l'héritage de Murnau et de Louis Feuillade. Pour ça, mieux vaut se pencher sur le récent MacBeth de Joel Coen.

Enlevez Batman, enlevez la marque, enlevez le logo: vous verrez alors qu'il ne restera finalement franchement rien qui mérite l'engouement.

Biggus-Dickus
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le 21 mai 2022

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Biggus Dickus

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