"Space : The Final Frontier..."
Délicate situation que celle dans laquelle me met Gravity. J'ai suivi le projet depuis le début et voilà que hier, enfin après des années d'attente, j'ai vu LE film que l'on vendait déjà comme la phase cinématographique terminale de 2013, le film qui allait te ré-apprendre ce qu'est le 7ème art et j'en passe. Quelques mois après Pacific Rim, il fallait bien s'attendre à être armé comme il faut pour affronter la bête en toute objectivité.
Commençons donc par le commencement : Alfonso Cuaron a réussi son pari haut la main.
Oui, Gravity est un monstre de mise en scène et projette son spectateur dans l'espace pendant 1H30 sans qu'on ait le temps de souffler. Dès son titanesque premier plan, le film dépasse le cadre de la petite image en mouvement qui se regarde : Cuaron a pensé son bébé comme une vraie plongée en apesanteur, et il nous travaille très rapidement au corps tant l'approche sensorielle de sa mise en scène nous parcourt l'échine en moins de deux. Le travail sur la caméra opéré ici est prodigieux, les mouvements de celle-ci étant loin de suivre une trajectoire rigide que l'on sentirait trop calculée. On a réellement l'impression de flotter, le cadre étant un peu tangent, les mouvements fluides sans être trop parfaits, le tout orchestrant un ballet dans l'espace avec ses sujets en étant d'un naturel époustouflant. Surtout, il n'abuse pas de sa flamboyante technique pour la simple performance. Que le premier plan dure 15 minutes fait complètement sens comme en témoigne la première coupe, et d'autres passages nécessitaient bel et bien un découpage plus pondéré comme appliqué.
C'est d'autant plus dingue que derrière Gravity se cache Framestore, une boite d'effets spéciaux qui avait peu faire parler d'elle jusque là, et qui vient juste de la mettre royalement aux maîtres d'ILM, de Weta ou de Digital Domain.
L'image est d'un réalisme total et que ce soit sur les textures, les mouvements, les lumières et j'en passe, jamais on a l'impression de faire face à des plans majoritairement en SFX passé la tête des acteurs.
Bref, techniquement, Gravity est à la hauteur des attentes, et se pose bien comme une nouvelle pierre dans cette libération totale de la caméra opérée dans la brèche ouverte par Zemeckis et trustée depuis par Cameron ou Spielberg.
Sinon, de quoi ça cause Gravity? D'une histoire de survie. Et sur ce point, le film possède les qualités de ses défauts.
J'aime la volonté de faire quelque chose d'hyper réaliste et de frontal. Cuaron tient son récit sans problème, évite les fioritures et va droit à l'essentiel : on est avec Sandra Bullock dans une situation cauchemardesque avec une série de problèmes, et on va tenter de s'en sortir en les résolvant un à un. Allez, on a une petite fantaisie dans le film qui rappellera à tous un certain Pixar, mais à la limite, c'est tellement bien branlé qu'on va pas rechigner sur ce maigre détail.
Seulement tout ça ne va finalement pas plus loin. C'est un survival sec et direct, et malgré une petite symbolique marquée ça et là, notamment dans la scène finale qui poussera les grands esprits de la critique à voir le tout comme une parabole sur le bon dieu ou que sais-je, le fond de la chose est de s'en sortir coûte que coûte, point.
Et j'imagine que c'est sans doute à cause des attentes générées par le film, mais venant d'un type qui nous a assené un coup de boule thématique comme les Fils de l'homme, j'espérais sans doute un peu plus.
D'autant que finalement, je n'ai pas envie, et je ne peux à vrai dire objectivement pas reprocher cet épure scénaristique qui se marie parfaitement à la forme. C'est simplement que passé l'environnement, Gravity est une histoire de survie comme on en a déjà vu auparavant. D'ailleurs, je ne sais même pas si j'irai jusqu'à dire que c'est le survival ultime dans l'espace pour la simple et bonne raison que son côté très terre-à-terre (ou réaliste dirait celui qui ne veut pas faire de jeux de mots à la con) fixe les enjeux clairement et qu'on a pas le temps de tergiverser sur ce qui va arriver à l'héroïne.
Ca vient peut être du fait que le film démarre sur la situation la plus désespérée de toute sa durée (dans le genre, ça pose d'emblée le problème) et aussi par sa radicalité : il n'y a pas 36 issues, on sait d'emblée les deux seules possibles.
L'imaginaire n'a pas le temps de venir se greffer à tout ça pour creuser encore plus, et c'est ce qui limite la portée émotionnelle du film à mon sens. Il n'y a pas de parabole façon Life of Pi (ou justement l'imagination te collait une bonne tarte après avoir vécu un sacré voyage) ou même d'horreur indicible façon Alien. Si on omet le choc technologique, le film de Ridley Scott me semble par exemple encore plus anxiogène par son côté extrêmement malsain qui travaille justement l'esprit pour mieux morfondre son public. Pour l'avoir revu en salle cette année au NIFFF, l'ambiance dans la salle était autrement plus sur le fil du rasoir, car le danger peut provenir de n'importe où dans ce putain de vaisseau, la menace étant perceptible tout en ayant un mystère ultra stressant autour d'elle. On ose pas imaginer ce que nous ferait le monstre de Giger si on se trouvait face à lui, tout en sachant que l'autre issue possible, c'est de crever gelé dans les étoiles.
De la même manière, Kubrick nous triturait lorsque le héros de 2001 sortait dans l'espace avec cette salope d'intelligence artificielle ultra vicieuse qui pouvait user de n'importe quel stratagème pernicieux pour nous en faire voir des vertes et des pas mûres. Gravity, c'est simplement le vide de l'espace contre soi. C'est déjà énorme, mais en un siècle de cinéma, c'est pas non plus la révolution, ni même une expérience transcendantale et métaphysique façon Kubrick.
Un autre point importe, et c'est peut être là finalement la seule et vraie déception du film : sa musique.
Je veux bien qu'on en use pour donner plus d'impact au silence lors de certaines scènes ou quoi, mais la marteler à ce point là pour signaler l'arrivée de chaque merde avant même de la percevoir à l'écran, c'est insupportable.
Lors de certaines grosses scènes, celle-ci pétarade à tout va là où le silence perçu par les astronautes suffirait à nous faire vivre le truc en live. Clairement, les compositions de Steven Price sont trop omniprésentes, trop chargées, trop fortes dès qu'il est question de tension. Non seulement il faudrait en virer au moins un bon tiers (en restant gentil, on sait que Alfonso s'est cassé le cul sur la question.), mais surtout elle est beaucoup trop forte, et on est à même de regretter un travail plus subtil et mesuré à l'instar de ce qu'a pu faire Goldsmith sur Alien (tiens, encore lui) ou Clint Mansell sur Moon.
C'est d'autant plus regrettable que le travail sur le son est aussi spectaculaire que l'image. Le parti pris de tout nous faire entendre du "point de vue" de Sandra Bullock (Clooney à la radio, les bruits seulement par rapport aux contacts qu'a le personnage avec les objets...) est d'une logique implacable et brillamment orchestré.
Du coup, qu'est-ce qu'il reste de Gravity? La sensation d'avoir été pendant une heure et demie dans l'espace.
C'est exactement l'intention originale du projet et ça en fait une réussite hors pair, ni plus, ni moins.
Cuaron ne s'est pas foutu de nos gueules, on imagine effectivement le foutoir pas possible pour mettre sur pied un tel film mais cela ne doit pas nous aveugler de certains choix contradictoires (clairement trop de musique, Clooney dans un film où Cuaron ne voulait pas de têtes connues ou des rôles à contre courants...) et de sa simplicité toute relative, quand bien même elle est totalement justifiée.
J'aime la simplicité, mais il me semble avoir vu des projets bien plus ambitieux cette année au cinéma (qui a dit Samsara?).