Le sujet du racisme dans notre passé et notre présent, des divergences entre les peuples et des conflits absurdes qu'elles ont pu déclencher, a eu une part très importante au cinéma cette année, et a généré beaucoup d'écho. Nous avons eu Black Panther, succès colossal mais à propos duquel je continue de maintenir de larges réserves quant à la pertinence du discours, puis L'Insulte, au Liban, peu médiatisé mais pourtant très intéressant, et BlacKkKlansman, qui, sans être exceptionnel, était vraiment intéressant et pertinent. Et ce, sans oublier Get Out, sorti l'année dernière. Tout cela pour dire qu'à cette lignée vient se rajouter Green Book, une très belle comédie dramatique qui vaut le détour. Une histoire vraie qui prend ici vie devant nos yeux et qui propose une belle leçon d'humanité.


Ce qui est intéressant avec Green Book, c'est sa façon de jouer avec les stéréotypes, en semblant les invoquer tout en les contredisant sans cesse. Tout d'abord, le rapport de force entre les deux personnages est surprenant. On sort du cliché du Noir issu des classes populaires et sans avenir, et du Blanc instruit qui le prend sous son aile, pour inverser les rôles et, d'emblée, s'affranchir de ce schéma bien trop souvent utilisé. Car ce que veut faire Peter Farrelly dans Green Book, ce n'est pas simplement se baser sur la problématique des a priori liés à la couleur de peau dans l'Amérique des années 60, mais bien élargir son discours en s'intéressant à la société dans son ensemble, à commencer par l'éducation et les différentes classes sociales qui la composent. La relation entre les deux hommes se bâtit sur la remise en question des a priori, mais aussi sur une éducation mutuelle. Shirley aide Tony à écrire ses lettres, à étoffer son langage, à être plus respectable pour être mieux respecté. Tony, lui, apporte à Shirley sa manière d'être très simple, sa capacité à apprécier des choses simples, et, aussi, à savoir faire face à la réalité de la vie.


Les messages adressés par le film sont donc multiples. On y voit la cruauté d'une société qui, malgré l'enfer de la guerre de Sécession, continue à être hantée par ses vieux démons un siècle après. On y voit également la difficulté rencontrée à de nombreuses personnes à y trouver une place à cause de leur couleur de peau et, au-delà du mépris et de la méfiance, toute l'ironie que les préjugés racistes peut générer, à l'image d'un restaurant chic qui accepte qu'un musicien Noir renommé y joue, mais pas qu'il puisse y dîner. C'est la tentative de trouver une concorde entre des individus issus de classes sociales totalement différentes, et qui n'ont pas reçu la même éducation. Et c'est aussi questionner la place de l'artiste, marginal par excellence, celui qui distrait les foules, mais que l'on pourra critiquer dans son dos, celui qui vit pour son art, mais auquel on ne donne pas le droit de vivre comme il l'entend. C'est, pour Shirley, l'exutoire salvateur, jouer du piano avec passion et rage devant un public conquis pour évacuer sa colère et son ressentiment, faire de la musique un instrument de paix. Pour les deux hommes, la route sera celle de la prise de conscience, où chaque arrêt sera porteur d'une nouvelle leçon.


Le point fort principal de Green Book demeure le duo Viggo Mortensen / Mahershala Ali, qui fonctionne à merveille. Une véritable alchimie se crée entre les deux acteurs et elle parvient à communiquer directement avec le spectateur. Le film adopte un ton souvent assez léger, voire comique, pour ne pas se retrouver trop alourdi, mais il ne tombe jamais dans l'excès pour ne pas non plus perdre en crédibilité. A la manière d'un BlacKkKlansman, Green Book sait invoquer le drame et le comique avec justesse et pertinence pour maintenir un équilibre qui évite toute forme de lassitude chez le spectateur, ou de déjà-vu. Le scénario du film exploite intelligemment le matériau original, venant prôner la concorde entre les Hommes, donnant du baume au cœur et qui vous mettra, pour sûr, de bonne humeur.

JKDZ29
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Vus en 2018 : Explorations filmiques, Les meilleurs films avec Viggo Mortensen, Vus en 2019 : Aventures cinéphiles et Les meilleurs films de 2019

Créée

le 26 déc. 2018

Critique lue 1.7K fois

13 j'aime

7 commentaires

JKDZ29

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

13
7

D'autres avis sur Green Book - Sur les routes du Sud

Green Book - Sur les routes du Sud
EricDebarnot
7

Drôle de drame

Il est facile de se gausser de ce "Green Book", première tentative de voler en solo - sans son frère dont on le pensait inséparable - d'un Farrelly : un réalisateur plutôt spécialiste du rire facile...

le 27 janv. 2019

127 j'aime

29

Green Book - Sur les routes du Sud
Larrire_Cuisine
5

[Ciné Club Sandwich] Un roadtrip garanti sans gilets jaunes

DISCLAIMER : La note de 5 est une note par défaut, une note "neutre". Nous mettons la même note à tous les films car nous ne sommes pas forcément favorable à un système de notation. Seule la critique...

le 25 janv. 2019

99 j'aime

10

Green Book - Sur les routes du Sud
voiron
7

Critique de Green Book - Sur les routes du Sud par voiron

Il s’agit de l’histoire vraie de la relation entre le pianiste de jazz afro-américain Don Shirley et le videur italo-américain Tony Lip, de son vrai nom Frank Anthony Vallelonga. Les deux hommes se...

le 30 janv. 2019

88 j'aime

22

Du même critique

The Lighthouse
JKDZ29
8

Plein phare

Dès l’annonce de sa présence à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, The Lighthouse a figuré parmi mes immanquables de ce Festival. Certes, je n’avais pas vu The Witch, mais le simple énoncé de...

le 20 mai 2019

77 j'aime

10

Alien: Covenant
JKDZ29
7

Chronique d'une saga enlisée et d'un opus détesté

A peine est-il sorti, que je vois déjà un nombre incalculable de critiques assassines venir accabler Alien : Covenant. Après le très contesté Prometheus, Ridley Scott se serait-il encore fourvoyé ...

le 10 mai 2017

75 j'aime

17

Burning
JKDZ29
7

De la suggestion naît le doute

De récentes découvertes telles que Memoir of a Murderer et A Taxi Driver m’ont rappelé la richesse du cinéma sud-coréen et son style tout à fait particulier et attrayant. La présence de Burning dans...

le 19 mai 2018

43 j'aime

5