"Le monde est plein de gens qui ont peur de faire le premier pas."
Cette phrase dite par Tony (Viggo Mortensen) est probablement la plus importante du film, pourtant peu avare en répliques explicatives. Difficile de faire un pas vers l'autre dans une voiture, mais le conducteur n'hésitera pas à se retourner régulièrement pour regarder son interlocuteur dans les yeux. Sa réponse ? "Eyes on the road". En d'autres mots, retourne toi et reste à ta place, car la mienne est à acquérir par la sueur de mon front, et de mon génie.
D'un côté, Tony mange la vie à pleine dents de bouchées gargantuesques limitant pourtant sa capacité d'appréciation, et de l'autre, Don Shirley (Mahershala Ali) se nourrit de culture à ne plus en pouvoir, un appartement rempli dans tous les coins de bibelots et de trophées acquits par une vie bien remplie. Pendant ce temps là, Tony remplis son appartement de membres de sa famille : enfants, femme, parents, cousins, amis...
On parle beaucoup des deux acteurs principaux, à raison. Il ne pouvait en être autrement d'un film qui dévoile la capacité de son personnage musicien à jouer un rôle, lui qui explique qu'il ne pouvait "jouer le rôle de mari et de musicien en même temps". Et qu'est ce que ce cinéma sinon un outil permettant d'observer la nature réelle d'un individu, au-delà de ce qu'il nous présente de lui-même ?
C'est affaire de choix : Tony n'a aucune raison de ne pas être lui-même, mais Don Shirley se bat pour une identité tellement transformée qu'on s'en demande si il s'agit réellement de lui, ou si elle est le résultat de son environnement. Il parle d'ailleurs d'écrire des choses que seul Tony pourrait écrire, mais n'hésite pas à lui prendre la plume pour le mettre en contact avec LA culture, celle à maîtriser pour se libérer du joug des dominants. Une culture qui provient pourtant de ces même dominants...
L'art est catharsis, et de ce fait est toujours affaire d'ambiguïté. Il faudrait souffrir pour être beau. Mais Peter Farrelly a toujours fait de ces situations une force : poser un regard simple sur une situation compliquée. On pourra regretter cette musique et ces dialogues qui nous disent exactement quoi ressentir à quel moment et pourquoi, mais cette mise en scène n'est finalement que l'extension de cette façon d'aborder l'existence. Et pour ceux qui sauront regarder, ils remarqueront que si la forme est simple, le fond est tout ce qu'il y a de plus nuancé. Reste à faire le premier pas.