Le Green Book (de son nom complet The Negro Motorist Green Book) était un guide du routard américain un peu particulier. Publié de 1936 à 1966, ce guide voyage était destiné aux afro-américains afin « de donner au voyageur noir une information le mettant à l'abri des difficultés et tracas, rendant son voyage plus agréable». Traduction : voyager sans risquer de se faire éclater la tronche ou humilier dans un lieu interdit aux noirs dans le contexte de ségrégation raciale qui sévissait alors dans le sud des États-Unis.
Green Book : Sur les routes du sud raconte l'origine d'une improbable, mais réelle amitié entre Tony Lip, videur d'un club New-Yorkais, et Don Shirley, pianiste virtuose. Le premier, d'origine italienne, habite le Bronx, est bourré de préjugés et s'est taillé une solide réputation d'homme à tout faire dans le milieu de la nuit. Réputation qui lui permit d'être recommandé pour un job un peu particulier : conduire le pianiste pour une tournée de deux mois à travers le sud du pays, s'assurer que tous les concerts aient lieu et que le piano sur scène soit de la marque Steinway. Don Shirley, d'origine jamaïquaine, est un passionné d'art et parle couramment huit langues. Nous sommes en 1962, la tournée doit se terminer en Alabama la veille du Réveillon de Noël après être passée par plusieurs états ségrégationnistes. Aidé du Green Book, Tony va devoir être bien plus que le simple chauffeur de Don.
L'antagonisme des deux personnages est le fil conducteur du récit, tant au niveau visuel que scénaristiquement. L'un est bourru, l'autre raffiné. L'un s'habille élégamment, l'autre en tenue décontractée. L'un est instruit et parle huit langues, l'autre parle comme un charretier et ne brille pas particulièrement par sa maîtrise de la grammaire. L'un est blanc et trapu, l'autre noir et longiligne. L'un est coincé et asocial, l'autre est avenant. L'un n'a personne à qui se confier, l'autre une famille soudée et de nombreux amis. Les opposés s'attirent, ce qui donne naissance à une belle amitié.
Loin de ses agréables bouffonneries réalisées avec son frère Bobby (Dumb and Dumber, Mary à tout prix ou encore Fous d'Irène pour ne citer que le meilleur), Peter Farrelly s'émancipe donc de vingt-cinq ans de zone de confort en réalisant Green Book : Sur les routes du sud. Un puissant changement de registre qui n'est pas sans rappeler celui, à peine plus récent, de Todd Phillips et avec son Joker.
Après une cérémonie des Oscars 2016 accusée de racisme et l'apparition du hashtag #OscarSoWhite, le président de l'Académie des Oscars annonce deux ans plus tard vouloir réinventer la cérémonie :
Nous la voyons se réinventer devant nos yeux avec plus d’attention et de responsabilités dans le but d’équilibrer les genres, les races, les ethnicités et les religions.
La messe est dite, diversité et inclusion doivent investir Hollywood. A défaut de la couleur du réalisateur Peter Farrelly, Green Book : Sur les routes du sud faisait office de bon compromis pour éviter une énième polémique, empochant la statuette la plus prestigieuse, celle du meilleur film. L'élégance et la dignité de l'acteur Mahershala Ali seront récompensées de l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle.
Ce climat de revendication, justifié, deviendrait-il une litanie sans fin quitte à faire preuve d'incohérences et finir par perdre en crédibilité ? La cérémonie des Oscars 2020 soulève cette question avec une polémique qui enflait à nouveau, alors qu' in fine, c'est le film coréen Parasite qui sortit grand vainqueur de la cérémonie avec les statuettes de meilleur film, meilleur film international, meilleur réalisateur et meilleur scénario original.
Green Book : Sur les routes du sud est un road movie qui reste très académique. Rien n'est laissé au hasard, tout est cousu de fil blanc. Les deux protagonistes ressortent grandis des deux mois passés ensemble. Le prolo, beauf et raciste reste un prolo, beauf, mais gomme son racisme. Le riche instruit avec un balai dans les fesses est toujours riche et instruit, mais il parvient à extraire ledit balai. Alors oui, l'interprétation de Viggo Mortensen et celle de Mahershala Ali sont remarquables. Oui le film est efficace, dose comme il se doit action et humour et insuffle un message humaniste et universel auquel on ne peut qu'adhérer. Oui la réalité a certainement été enjolivée par Nick, le fils de Tony Lip, producteur et scénariste du film. Non le film n'a rien de fabuleux ni d'original. C'est un bon film et c'est déjà ça.