"Green Fish" s'inscrit dans la continuité des découvertes du côté de la filmographie de Lee Chang-dong post-"Burning", son dernier film à ce jour et pour l'instant celui le plus maîtrisé et le moins excessif dans ses effets — en tous cas le plus maîtrisé — à mes yeux, et qui n'a pas encore été détrôné par les autres éléments plus connus comme "Peppermint Candy" ou "Poetry". Petite déception, principalement alimentée par le fait que le cinéma de Lee a énormément changé entre la fin des années 1990 et la fin des années 2010. On peut assez facilement associer "Green Fish" à un courant cinématographique plus vaste, le cinéma sud-coréen (avec toutes ses excentricités), d'une part, et le cinéma du tournant du siècle (avec tout son pathos), d'autre part. Il y a de quoi anesthésier un cheval avec la dose de sentiments administrée ici, et il me faut quand même beaucoup plus de matière pour me permettre de passer outre un tel recours abusif, effréné, et plus simplement démesuré à l'emphase émotionnelle.
C'est surtout en ce sens que je trouve le film caractéristique de son époque, j'ai l'impression d'avoir déjà vu des dizaines de films similaires appartenant au même triptyque Corée / drame / 1990s-2000s, comme si "Green Fish" portait en lui les germes des mécanismes à l'œuvre dans l'explosion de la Nouvelle Vague coréenne du début du XXIe siècle. Ce versant est cependant légèrement marqué par son appartenance à la fin du XXe, avec ce côté mauvais goût des années 80 pas encore tout à fait éliminé — la bande son est très souvent affreuse, avec ce petit fond musical fané à base de saxophone jazzy digne d'une parodie — et ce malgré la présence, il me semble, d'un morceau de Tom Waits (à l'honneur en ce moment décidément, après son utilisation chez Julian Schnabel dans "Le Scaphandre et le Papillon").
C'est marrant de voir Song Kang-ho, la superstar des années 2000 chez Bong Joon-Ho, Park Chan-Wook et Kim Jee-Woon notamment, dans un petit rôle ici. Mais rien qui ne suffise à apaiser cette ambiance de polar trop riche en clichés sur les mafieux, rendant pour moi inintelligible le discours sur la jeunesse en perdition, symbolisée par ce jeune homme de retour de son service militaire totalement désorienté dans ce qui ressemble à un nouveau monde, régi par de nouveaux codes. Le schéma "je suis paumé il ne me reste que le crime" est assez maladroit je trouve, surtout lorsqu'il est adossé de la sorte à un tableau familial aussi gratiné — on connaît les excès coréens, mais alors si on rajoute un handicapé dans la fratrie, on atteint des sommets en matière de cabotinage. On ne peut pas dire que le film soit d'un misérabilisme écœurant, mais il en abuse clairement, et les scènes censées apporter un peu de distance et de légèreté (à l'instar de l'arnaque des flics) sont très insuffisantes. Tout ce qui a trait à la femme du boss, prisonnière d'une relation masochiste, échoue à établir efficacement un miroir entre les deux personnages et les deux solitudes. Lourd et désagréablement pessimiste, comme ce final que je trouve incroyablement gratuit.