Une des adaptations les plus fidèles de Tarzan seigneur de la Jungle, 1ère œuvre de Edgar Rice Burroughs sur le héros de l'Afrique équatoriale. On est loin du super-héros allant de lianes en lianes et se battant en peau de bête.
Greystoke : la Légende de Tarzan, seigneur des singes, bien que récit d'aventure avec des codes qu'on retrouve aussi dans Highlander avec le même acteur principal Christophe Lambert (les éclairs, le temps gris, l'innocence perdue du héros, le paysage rongé par l'humidité, le sang et la violence ... et le rire de Lambert bien sûr), a en fait tout d'une tragédie que Tarzan doit transcender :
Il perd ses parents, Lord John Clayton de Greystoke et Lady Greystoke, des nobles anglais échoués et morts dans la jungle quand il était tout petit et il est recueilli par des singes qui l'adoptent avec beaucoup d'amour et de compassion (dans des scènes touchantes qui ne sont en rien détruites par les animatroniques, chimpanzés ou acteur grimés comme tels). L'enfance de Tarzan commence dans la tragédie mais les singes de la jungle africaine équatoriale de l'Ouest lui permettent de surmonter ces épreuves. Mais il devra en surmonter d'autres :
Tarzan adolescent représente aussi le déchirement de l'homme-animal : est-il heureux dans ces conditions précaires où la mort est soudaine, ou bien est-il aliéné par son milieu d'adoption ? Le pauvre retrouve la cabane de ses parents et ne se rend pas compte que les squelettes à ses pieds sont ceux de ses géniteurs. Mais il connait la tristesse avec la mort de sa mère adoptive gorille, tuée pour sa peau par les hommes, et même ses cris d'animaux n'efface pas toute la fatalité du moment.
Et même après avoir appris des rudiments de lecture, prises de paroles et mimétisme, plus un combat des chefs contre un gorille jaloux qui a exilé son père adoptif, ce n'est que grâce à l'aide du Belge colonial Philippe d'Arnot que Tarzan s'aperçoit qu'il est bien plus qu'un homme-singe : il est John Clayton, Lord Greystoke et bien que ses parents soient morts, il a encore de la famille en Écosse en dehors de ses gorilles d'adoption à la vie si brève.
Bien qu'encore à l'état d'enfant sauvage de la jungle comme dans le film de François Truffaut, son accueil à Greystoke en Écosse se passe bien : son grand-père, seigneur du domaine, reconnait le seigneur des singes comme son petit-fils et a même l'impression de remonter en enfance avec lui. John Clayton est apprécié, intégré et fascine même la société anglaise pourtant souvent dépeinte comme snob et condescendante dans d'autres œuvres sur le thème de l'introduction du "sauvage" en milieu "civilisé".
Pour autant, l'arrivée de John au Royaume-Uni ne signifie pas la fin de la mélancolie : après avoir perdu ses parents biologiques, puis adoptifs, puis séparé de son ami Philippe qui lui avait permis de transcender sa condition animale, le voilà qui perd son grand-père après que ce dernier essayait de remonter en enfance une dernière fois lors d'une réception tel le Grand Duc dans Cendrillon.
Philippe alors revient pour essayer de le convaincre de transcender la tragédie mais John réplique alors :
J'ai quitté la Jungle pour retrouver ma famille. Mais je n'ai trouvé
qu'un vieil homme et il est mort. Je suis seul.
Mais pour Jane et par amour pour elle, et pour respecter les dernières volontés de son grand-père, il essaye quand même de s'intégrer à la société anglaise mais il s'aperçoit également qu'il passe de l'aliénation animale au carcan de la civilisation :
Lors d'une visite d'un Muséum d'Histoire naturelle, il échappe à l'exposition et tombe dans un Institut de dissection où son père gorille adoptif a été capturé et allait servir pour des expérimentations glauques. Il décide alors de le libérer pour lui faire profiter des "bienfaits" de la civilisation en gambadant sans chaîne. Malheureusement, la garde locale abat son père gorille par peur d'un "déchainement" animal.
Tarzan perd son dernier parent, il voit que la "civilisation" anglaise de 1912 n'est que cruauté maquillée en supériorité :
C'était mon père !
Rentré à Greystoke, John est déchiré entre Tarzan et Lord Greystoke : est-il un animal ? Un homme ? Doit-il être traité comme bête curieuse sous l'œil malaisant d'une société hypocrite ? Doit-il devenir un lord civilisé quand la civilisation elle-même est pire que la sauvagerie ?
Même Jane, qui préfèrerait qu'il reste à Greystoke, ne peut pas supporter de le voir sans bonheur.
Finalement, notre héros comprend qu'il ne peut pas respecter toutes les volontés de son grand-père, sauf la dernière :
Ne vend jamais tes terres ! Garde-les ! Mais ne te vends jamais
toi-même !
Notre héros comprend alors qu'il était plus libre et plus heureux dans la jungle malgré ses dangers, pour la raison simple que :
Je suis moitié Greystoke, moitié sauvage. Je rentre chez moi.
John Clayton, Lord Greystoke redevient Tarzan, seigneur des singes et retourne dans la jungle équatoriale de l'Afrique occidentale, loin du colonialisme et de son prétendu "bonheur de la civilisation". Il a de toute façon déjà transcendé la sauvagerie et le monde du "progrès". Il retourne vers son vrai lieu de naissance, celui qui l'a élevé certes au milieu de la férocité mais loin de l'hypocrisie et du dilemme moral.
Quant aux autres qualités du film, le jeu de Lambert, la musique orchestrale et les décors très riches de 1983 mêlant jungle camerounaise et briques écossaises réussissent parfaitement à raconter le déchirement qui ont fondé la Légende de Tarzan, seigneur des singes et héritier de Greystoke.