« L'innocence aura raison du crime »
Guernica est un documentaire réalisé par Alain Resnais, et sorti en 1950, treize ans après les événements qu'il tente de raconter. La Seconde guerre mondiale est achevée depuis quelques années, mais ce n'est pas parce qu'elle a un peu éclipsé la guerre civile espagnole qu'il faut oublier un de ses drames les plus terribles, à savoir Guernica. C'est en tout cas comme ça que j'entends la sortie de ce film.
Dans la forme, il s'agit d'un projet pour le moins original : raconter Guernica principalement à partir d'œuvres de Picasso, le tableau éponyme, évidemment, mais aussi au moyen d'œuvres antérieures à la guerre d'Espagne, que ce soient des dessins, des peintures ou des sculptures (il y a aussi quelques photos et des coupures de journaux de l'époque). Le tout animé par différents effets et accompagné par un texte de Paul Eluard prononcé par un certain Jacques Pruvost (le tout début) et surtout Maria Casarès.
Au niveau cinéma, c'est assez primitif et de qualité médiocre : les effets ne sont pas toujours heureux, on alterne des images fixes, on zoome sur une peinture, on surimpose des images, bref, on fait avec les moyens du bord, et le résultat est plus que moyen, il faut bien le dire. Il s'agit avant tout d'un travail de montage et de mise en place d'effets pour tenter de parvenir à donner une cohérence à des éléments très disparates : des images, photos d'œuvres d'art ou d'extraits de journaux, des effets pour animer ces images, un texte parfois un peu trop lyrique, une musique et des effets sonores (sirène, moteurs d'avions). Pas évident, et le résultat est pour le moins mitigé, on a un peu l'impression qu'on a fait des collages pour illustrer le texte, à moins que ce ne soit l'inverse, mais ça ne marche pas trop.
De plus, je trouve que le texte est un peu trop poétique pour un documentaire : s'il est assez joli, il n'est pas vraiment lié à Guernica et pourrait convenir pour bien d'autres drames ou massacres. Sans parler de formules discutables et parfois creuses : « ils vous ont fait payer le pain de votre vie » ; « il n'y a qu'une nuit, c'est celle de la guerre, grande sœur de la misère et fille de la mort répugnante, affolante » ou « la mort a rompu l'équilibre du temps ».
Le film est découpé en trois parties. Dans la première Jacques Pruvost raconte brièvement les événements de ce triste 26 avril 1937, sur les images tirées d'une photo de la ville en ruines. Puis Maria Casarès prend vite le relai, dans une partie centrale décrivant le bombardement, partie la plus rythmée et la plus intéressante, notamment avec l'utilisation de visages issus de différents dessins et tableaux de Picasso. Enfin, la dernière partie, lente et sans grand intérêt, montre la mort avec un long travelling se contentant de filmer des sculptures.
Cette mise en scène était-elle nécessaire pour nous faire comprendre l'horreur de Guernica, le tableau de Picasso n'était-il pas suffisamment édifiant, pourquoi ajouter ces images animées mais plutôt maladroitement montées ?
Bref, on a là un « documentaire » décevant, très kitsch en terme de réalisation et qui n'apporte que très peu d'éléments factuels, mais souhaite surtout transmettre les émotions, raconter la barbarie, la souffrance et la mort. C'est aussi et peut-être surtout un hommage rendu à Picasso et à son œuvre, comme semble l'indiquer la fin du film.
Si vous voulez apprendre quelque chose sur Guernica, passez votre chemin. En revanche, si vous voulez revivre l'émotion de ce crime innommable et que vous appréciez Picasso, les films originaux et la poésie, tentez de voir ce film. Un film qui a le mérite, dix ans après la fin de la guerre civile espagnole, et alors que le franquisme est solidement installé dans le pays, de rappeler que ce pouvoir avait beaucoup de sang sur les mains, même si les bombardements furent le fait des Allemands et des Italiens.