(Attention : SPOILER, un peu )


Gueule d'amour, gueule d'amour... L'expression me trottait dans la tête après le visionnage. Paradoxale cette gueule, ce "gosier", cette bouche d'animal faite pour l'amour et ses tendresses.
Cette gueule d'amour là, c'est Gabin. Gabin le robuste, l'élégant, le masculin, cette image du fort en "gueule" aux épaules solides mais au cœur tendre. Lucien Bourrache, qu'il incarne, est militaire et plait aux femmes. Et pas qu'un peu puisque lorsqu'il défile, ces dames qui le surnomment "gueule d'amour", s'arrêtent de vivre pour le regarder tandis qu'à son travail ses chefs sont obligés de gérer les à-côtés de son don-juanisme. Car "gueule d'amour" n'est pas bégueule et profite au mieux de son succès, ces dames s'amourachent, s'accrochent, mais "gueule d'amour" ne tombe pas amoureux jusqu'à....


Jusqu'à ce qu'il rencontre son pendant féminin: la femme fatale, Madeleine, jouée par la vamp Mireille Balin. Face à cette femme, belle, riche, élégante, indépendante il ne se sent plus si "gueule d'amour". La confiance en soi, quand elle se construit sur le regard des autres, est bien fragile. Et là, c'est "gueule d'amour" qui regarde, les yeux pleins de rêveries romantiques, d'idéalisme conjugal. Mais Madeleine, alors qu'on la croit pourtant réceptive à cet amour naissant, se dérobe.


"Suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis". Et oui car Lucien n'a pas l'habitude qu'on lui résiste, alors lorsque cela lui arrive, il ne comprend pas, s'interroge, ressasse son histoire, fantasme un futur. C'est un classique des histoires d'amour qui tient plus de l'orgueil que de l'amour finalement. Il parait que les écrivains écrivent toujours le même livre, les réalisateurs toujours le même film, alors pourquoi un cœur qui réussit si bien à s'aimer, ne tomberait-il pas éternellement amoureux de lui même à travers l'autre...


Gueule d'amour est accro. Sa madeleine aussi, semble-il. Mais, Madeleine si elle peut aimer sa "gueule d'amour", lui consacrer un peu de son temps, le traiter en amant adoré, elle ne peut consentir à lui sacrifier son confort et son train de vie.
Il y a quelque chose de très naïf dans le personnage de Lucien, car la situation de Madeleine est claire dès le départ mais Jean Grémillon a été très malin et si Madeleine est honnête quant à sa situation, elle l'est moins quant à ses sentiments. Et les personnages font le yo-yo comme ça tout du long: Lucien oscillant entre l'amant envahissant, orgueilleux et impulsif, qui exige de sa compagne des sacrifices qu'elle lui avait annoncée ne pas être disposée à faire et le pauvre bougre, romantique naïf qui ne cherche qu'à aimer en toute simplicité. A cœur simple, amour simple; à cœur de pierre... Car Madeleine elle, est un vrai personnage double face. Tout au long du film, sans avoir lu de spoiler auparavant, je savais toutefois que Mireille Balin y incarnait une garce et ai donc passé une heure à me dire "non mais en fait elle est sympa, c'est lui qui se fait des films de midinettes dans sa tête"... Et puis non, en effet c'est de la bonne garce la Madeleine. J'ai été très surprise à la scène finale, lorsqu'elle dévoile sa vraie personnalité (d'ailleurs le simple fait de dire que son personnage est une garce joue comme un spoiler...) qui donne par ailleurs un éclairage nouveau à sa nonchalance, son désenchantement latent du début...


J'ai trouvé le film intéressant, avec plusieurs réflexions possibles sur les personnages, leurs histoires, leurs attentes; comme souvent lorsqu'il s'agit d'un livre adapté au cinéma. "Gueule d'amour" de André Beucler (pas lu) raconte l'histoire d'une femme vu par 3 hommes. Le film se concentre sur "gueule d'amour", le plus beau. Il y a aussi son meilleur ami, qui tombe amoureux de la vamp (la relation de concurrence entre les deux hommes n'est pas très bien exploitée) et je suppose que le troisième est le bienfaiteur de Madeleine, celui qui l'entretient (il dit 3 mots dans le film). La complexité des personnages pâtit du format.


Quoiqu'il en soit, je n'aime pas l'analyse la garce / le cœur brisé que le film laisse à nombre de spectateurs et en même temps, il est un peu construit comme ça... Ce qui m'a frappé au contraire, c'est la ressemblance des deux personnages principaux. Au delà du "gueule d'amour"/"femme fatale" évoqué plus haut et du fait que le dédain qu'elle a pour lui au début est le même que celui qu'il a pour les femmes qui le courtisent; les deux ont une conception de leur relation très fantasmée et donc très égocentrique. Ils se font chacun leur idée de cette relation, de ce qu'ils attendent de l'autre: Elle, veut une amourette légère et passionnée sans danger pour sa situation; Lui veut une histoire d'amour classique, le couple, l'engagement. Tous deux ont conscience que l'autre est en décalage avec ces espoirs mais ils font avec jusqu'à se retrouver au pied du mur, où chacun refusera de céder à l'autre.
Dans la vie ça se termine là. Mais ces deux personnages-ci, et même si la scène finale entre eux deux laisse supposer le contraire la concernant, sont liés par des liens extrêmement forts.
Leur séparation n'y fait rien, ils continuent à s'aimer, toujours aussi mal, toujours naïvement ou égocentriquement. Jusqu'à la fin ils cherchent à amener l'autre à combler leurs espoirs. On a évidemment moins de sympathie pour Madeleine que pour Lucien, car elle semble se ficher de faire souffrir, de le faire souffrir...


Et pourtant lui amoureux, elle n'aimant personne car n'aimant que l'argent, je n'y crois pas. C'est peut être moi qui suis naïve comme Lucien du coup, ou Mireille Balin qui joue très bien mais je pense qu'elle l'aime, comme une garce certes, mais elle l'aime.
Lacan disait que "L'amour c'est donner quelque chose qu'on a pas à quelqu'un qui n'en veut pas". Ça va bien à ce film je trouve. Mais justement, ce film, n'est pas le récit sublimé d'une histoire d'amour, c'est la démonstration cruelle d'une histoire d'amour ratée.


PS / La dernière scène - Gabin qui pleure - (je l'ai trouvé mauvais dans cette scène...je suis obligée de le dire car ça m'a surpris...cela dit il est très bon tout le reste... Gabin quoi...)

penthe
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le 16 oct. 2016

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