Grémillon s’en remet tellement à Gabin qu’il utilise en guise de titre le véritable surnom qu’on donnait à l’acteur avant la guerre. Ou l’impression de voir un film écrit pour lui. Ce qui se révèle à moitié vrai tant Gueule d’amour, le film, déconstruit un peu de ce mythe Gabin, le dessinant d’abord en soldat magnifique, militaire très convoité par la gente féminine, avant qu’un soir, en permission à Cannes, il ne jette son dévolu, entier, passionné, destructeur sur Madeleine, une aventurière – incarné par Mireille Balin, déjà partenaire de Gabin la même année, dans Pépé le moko.


 L’amour crescendo obsessionnel qu’il éprouve rapidement pour elle est proportionnel à la frustration qu’elle fait naître en lui, à travers des promesses non tenues, des disparitions impromptues. Et le film capte et reproduit l’état d’esprit de Lucien, fait d’excitations et de torpeurs, d’espoirs et incompréhensions. Lucien quitte Orange où il y était l’objet de toutes les convoitises, pour Paris où il n’existe plus, où Madeleine, subrepticement, le dévore. Gabin devient cet homme de la campagne soumis, vulnérable. Balin la citadine, une mystérieuse femme fatale.
La passion de « Gueule d’amour », le film autant que son personnage, se dilapide dans le pur mélodrame et trouve in-extrémis une sortie « moins malheureuse », une providence amicale, un adieu entre deux copains et une étreinte à chialer sur un quai de gare. S’il y a bien une surprise dans le récit finalement attendu du film de Grémillon c’est bien cette issue-là, déchirante qui plus est. En somme, Gueule d’amour est une sorte de film prémonitoire du devenir Gabin, qui troquera bientôt sa gueule d’amour pour son personnage de patriarche. Un très beau et passionnant Grémillon.
JanosValuska
7
Écrit par

Créée

le 5 mars 2020

Critique lue 169 fois

2 j'aime

JanosValuska

Écrit par

Critique lue 169 fois

2

D'autres avis sur Gueule d'amour

Gueule d'amour
Morrinson
7

Le fruit défendu

Je n'avais jamais entendu parler de Jean Grémillon, et c'est sans doute un tort, à la lumière de Gueule d'amour. Il filme Jean Gabin, héros national de la décade en question, d'une manière très...

le 6 août 2018

9 j'aime

Gueule d'amour
Boubakar
7

Beau gosse.

Gueule d'amour est non seulement un film de Jean Grémillon, mais aussi le surnom qu'aura Jean Gabin durant des années, car il fut souvent ramené à ce rôle durant sa jeunesse, et l'avant-guerre. Il...

le 22 mars 2017

8 j'aime

Gueule d'amour
Melenkurion
8

Critique de Gueule d'amour par Melenkurion

Un étrange film que celui là, divisé en deux parties diamétralement opposées, remarquablement résumé sur l'affiche du film, qui montre les deux visages de Gabin. Toute la première moitié accumule un...

le 10 juin 2019

5 j'aime

1

Du même critique

Titane
JanosValuska
5

The messy demon.

Quand Grave est sorti il y a quatre ans, ça m’avait enthousiasmé. Non pas que le film soit  parfait, loin de là, mais ça faisait tellement de bien de voir un premier film aussi intense...

le 24 juil. 2021

33 j'aime

5

La Maison des bois
JanosValuska
10

My childhood.

J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai...

le 21 nov. 2014

33 j'aime

5

Le Convoi de la peur
JanosValuska
10

Ensorcelés.

Il est certain que ce n’est pas le film qui me fera aimer Star Wars. Je n’ai jamais eu de grande estime pour la saga culte alors quand j’apprends que les deux films sont sortis en même temps en salle...

le 10 déc. 2013

28 j'aime

8