Gueules noires
5.5
Gueules noires

Film de Mathieu Turi (2023)

N’est pas mort ce qui à jamais dort et dans les siècles peut mourir même la mort.

Alors que je m’attendais à voir un drame social sur la vie des mineurs à la Germinal (je ne m’étais absolument pas renseigné sur ce que j’allais voir), je fus surpris du tournant vers l’horreur cosmique / fantastique pris par le scénario de Mathieu Turi.

Étant amateur de l’horreur lovecraftienne, je me suis régalé des références au necronomicon, à l’appel de Cthulhu et à Abdul al-Hazred. Cependant n’y a-t-il pas un contresens entre univers lovecraftien et la mise en scène de Mathieu Turi ?

Tout d’abord, le genre de l’horreur cosmique ou horreur lovecraftienne est un sous-genre, à la base littéraire, de l’horreur souvent opposé à la science-fiction à cause de sa proximité avec le fantastique. C’est d’ailleurs le genre fantastique qui est associé au film lorsque l’on prend sa place de cinéma ou que l’on se renseigne sur internet. Dans l’horreur cosmique on retrouve souvent des entités divines anciennes enfouies sous la terre, sous la mer ou encore venues du fin fond du cosmos. Ces entités sont toutes puissantes et dominent inexorablement la condition humaine qui se retrouve opprimée par ces créatures dont les objectifs et les origines la dépassent. L’horreur réside dans la manière dont Lovecraft décrit ces entités. Les descriptions démontrent l’incapacité du langage à rendre compte de la puissance et du physique de la créature, par exemple dans La couleur venue d’ailleurs il décrit une “couleur / matière” extraterrestre rendant fou quiconque la regarde en écrivant simplement : “Sa couleur était presque indescriptible”. Technique que l’on retrouve dans un dialogue du film, au moment où deux personnages (Amir et le professeur je crois) discutent à propos de l’origine de la création de la crypte. Le professeur reste mystérieux et ses réponses manquent de précision face aux questions d’Amir laissant ainsi au spectateur la liberté d'imaginer et surtout de ressentir l’ancienneté du lieu. Peut-être que pour ces deux exemples on pourrait emprunter au cinéma la notion de hors-champ pour l’associer à la littérature : on laisse les descriptions classiques de côté pour laisser au lecteur / spectateur la tâche de réfléchir et de s’imaginer les horreurs qui se cachent derrière les mots.

Il paraîtrait donc logique qu’un cinéaste mettant en scène de l’horreur cosmique et assumant des références directes à Lovecraft utilise le hors-champ pour figurer une créature. Au début du film on peut voir quelques plans sur les mains de l’entité avec de longs doigts humanoïdes se glissant dans l’ombre au passage de la caméra. Mais au fur et à mesure du film, la créature sort de l’obscurité pour aller coller son visage insectoïde au devant de l’écran, offrant au spectateur la chance de constater l’incroyable travail sur la création de la marionnette. C’est ça qui est dommage, on ne peut nier la qualité du travail plastique de la créature mais impossible d’être immergé dans un univers lovecraftien si nous sommes face à une marionnette, de mon point de vue. Je sais que lorsque l’on écrit une critique il ne faut pas parler du film que l’on aurait aimé voir mais de celui qu’on a vu ,cependant je trouve que le film et le cinéaste ont du potentiel et que ces contre-sens nuisent beaucoup au projet qui aurait pu marquer encore plus les esprits.

Il y a peut-être un choix de ne pas explorer l’adaptation esthétique de l’horreur cosmique par le cinéaste et la production de peur que ce sujet ne touche pas un public aussi large qu’il le peut avec cette mise en scène à la John Carpenter (même si il y avait à peine 10 personnes dans la salle). Peut-être qu’il est trop tôt pour remettre ce genre au goût du jour ? (on rappelle qu’il y a eu de bons films de ce genre comme Alien de Ridley Scott ou The Thing de John Carpenter, mais qui ne sont pas des références directes à Lovecraft et qui peuvent se permettre de s’éloigner de son style d’écriture).

Pour finir, je pense qu’il faut soutenir les cinéastes français qui tentent de se démarquer des productions habituelles et de surprendre le paysage du cinéma français, notamment par le fantastique et l’horreur. Puisque je trouve que ce paysage manque de diversité et que l’on tombe facilement dans la comédie populaire ou le film d’auteur élitiste sans savoir nuancer (sans offense). Mathieu Turi fait partie de ces cinéastes qui osent proposer un film de genre fantastique avec une histoire originale qui, certes, n’est pas régulier sur tous ses aspects mais qui parvient à montrer que l’envie de proposer des films de genre fantastique et horrifique en France est toujours là.

Peeepeee
6
Écrit par

Créée

le 16 nov. 2023

Critique lue 238 fois

Peeepeee

Écrit par

Critique lue 238 fois

D'autres avis sur Gueules noires

Gueules noires
Cinephile-doux
5

Détournement de mineurs

"C'est un film qui débute comme Germinal et se termine comme Alien" : la sentence est émise par Eric Miot, délégué général de l'Arras Film Festival, lors duquel Gueules noires a été présenté devant...

le 12 nov. 2023

21 j'aime

4

Gueules noires
Euhridice
6

Il y avait du potentiel punaise

Tout d'abord, je salue l'audace du réalisateur pour l'originalité du cadre. Faire un film d'horreur dans les mines des Hauts de France, et mettant ainsi au cœur de ses actions la classe ouvrière,...

le 12 nov. 2023

19 j'aime

Gueules noires
Raphoucinevore
5

Le monstre n'a pas bonne mine

Un ressenti très mitigé à la sortie de ce 3e long-métrage de Mathieu Turi (Hostile, Méandre).Le premier tiers du film est de bonne tenue, et prouve tout le savoir-faire de son réalisateur en terme de...

le 19 nov. 2023

12 j'aime