Alex Lutz a le sens des défis. C’est une condition nécessaire pour aller incarner, en pleine jeunesse, un artiste vieillissant, Guy Jamet, chanteur de variétés exclusivement capté par l’œil de la caméra qu’est censé braquer sur lui Gauthier, son fils caché et inconnu de lui. En effet, celui-ci, à la mort de sa mère, a appris par une lettre que la star des années 60 était son père naturel. L’idée du documentaire en forme de portrait de quelques figures phares fournit alors au jeune homme (Tom Dingler, associé régulier du réalisateur) un excellent prétexte d’approche.
Le scénario, très construit, progresse à travers deux phases bien distinctes. Dans un premier volet du film, Alex Lutz, réalisateur et acteur principal de ce deuxième long-métrage, prête corps à une sorte de projection de lui-même dans le futur, apparaissant, après plusieurs heures quotidiennes de maquillage (bravo à Laetitia Quillery et Geoffroy Felley), sous les traits de ce Guy, la soixantaine blanchie mais portant encore beau, même si la démarche se fait plus incertaine, les mouvements plus hésitants, le moral à la fois plus tyrannique et plus grognon. L’homme, bien qu’éclipsé en ce début du XXIème siècle, ne s’est jamais totalement détourné de son public et entretient sa fidélité à grands coups de galas. Mais il a décidé d’effectuer un come-back et se prête volontiers au jeu de promotion des médias. Le spectateur lambda a le sentiment de voir renaître un lointain cousin de Claude François et, un peu tétanisé, laisse déferler sur lui, dégorgées par les haut-parleurs de la salle, des chansons tendres qui lui paraissent relever du ringard absolu. « Guy Jamet, jamais !... », ne manque-t-il pas de se promettre in petto.
Le second volet ne s’ouvre pas progressivement, en un glissando savant, mais brusquement, à travers une scène d’explication face caméra, pseudo-documentaire oblige... Remontrance qui vise tout autant le spectateur lui-même que le Gauthier penaud auquel elle est supposée s’adresser, et grâce à laquelle le réalisateur reprend la main, nous confrontant à nos propres attentes, à nos propres apriori, à l’étroitesse de nos jugements. Le message est clair, se refermant sur un « Me prends pas pour un con » qui fait mouche.
Ce rectificatif étant posé, Alex Lutz est désormais libre de nuancer son personnage, de le rendre plus attachant, bien qu’il reste tout aussi, voire de plus en plus insupportable. Les aphorismes sporadiquement lâchés par Guy Jamet se font plus fins, plus ajustés, visant l’âge, le temps qui passe, le statut d’artiste. Et l’on se surprend presque à être touché par l’une de ces romances qui nous faisaient sourire au début...
Transparaît soudain la suprême élégance du réalisateur-acteur. Un homme mûr eût-il réalisé semblable film, le spectateur, embarrassé, se serait retrouvé devant un plaidoyer pro domo. Il fallait toute la jeunesse, la beauté, d’un artiste encore jeune pour dénoncer, avec fougue et générosité, sans susciter la gêne ni sembler s’apitoyer sur son sort, cette injustice vitale de l’âge et du temps qui passe qu’aucun syndicat ne pourra jamais réparer. Dans une société confite de jeunisme, il fallait oser. Et quitte à jeter un pavé dans la mare, pourquoi ne pas réhabiliter, par la même occasion, le passé si volontiers moqué, et cette fois à travers la figure d’un chanteur de charme ?...
Alors que le film « Les Vieux Fourneaux », de Christophe Duthuron, sort prochainement, le 22 août 2018, réunissant trois joyeux ou tristes septuagénaires, et sur fond de crise des EHPAD, on se dit que le troisième âge a de l’avenir. Ce qui est bon signe, puisque avoir l’opportunité de vieillir est encore ce qui peut arriver de mieux à tout être vivant...