On ne voit qu’elle. Grande, plus grande que les autres, élancée, un pull rouge vif sous une élégante veste beige, le visage rayonnant, Haewon est différente. C’est en tout cas ce que disent d’elle ses camarades de l’université, la « soupçonnant » d’être une métisse, ce qui expliquerait sa bizarrerie. Plus tard aussi, une des ses proches amies dira qu’elle n’est peut-être pas faite pour la Corée et qu’une vie à l’étranger lui correspondrait mieux. Quelle est donc la place de cette jeune fille qui semble se chercher au gré de ses balades dans Séoul ?
On reproche souvent à Hong Sang-soo de se répéter, et de refaire toujours le même film. Et effectivement, dans son cinéma, c’est l’art de variation et de la reprise qui est prime. Alors encore une fois, il y a un réalisateur-professeur (comme Hong Sang-soo lui même), des élèves, il y a Séoul, les restaurants et le soju, encore et toujours le soju. D’ailleurs, Haewon n’arrête pas d’en réclamer : elle répétera a plusieurs reprises qu’elle a envie de boire. Le film fonctionne sur la répétition, et se dessinent alors de subtils jeux de miroir, de scène en scène. Hong Sangsoo compose une cartographie sur laquelle il balade son héroïne : le parc Sajic, le fort Hamnan, un café librairie. Elle revient sur ces lieux, un peu toujours la même et toujours différente, seule ou accompagnée.
Haewon, de par son itinéraire et la suite de rencontres qu’elle fait tout au long du récit, ressemble alors à une héroïne de conte. Seulement celui-ci a quelque chose d’aussi cruel que vain, puisqu’aucune morale ne parvient à naitre et qu’on ressent même, malgré le chemin parcouru, une forme de piétinement. De par son pessimisme naïf qui lui fait dire dans une scène que la mort à le mérite de tout régler, mais aussi au travers de son allure un peu gauche due à sa taille, Haewon apparaît comme un personnage aussi insaisissable d’attachant. Le début du film nous fait assister à une rupture avec la mère, qui quitte la Corée pour commencer une nouvelle vie au Canada. Haewon devient alors une sorte d’orpheline, mais dont la quête n’est pas réellement définie. Cherche t-elle un homme ? Un mari ? Veut-elle partir, elle aussi ? Devenir quelqu’un d’autre ? Une étrange scène, dont on peut vraiment savoir si elle est rêvée ou non, ouvre le film et arrive juste avant cette dernière (et peut-être première) balade avec la mère. Haewon l’attend dans un café où elle s’endort. Elle sort ensuite du café et croise Jane Birkin. Surréaliste et émouvante, cette drôle de rencontre nous place aussi devant la douce folie de l’héroïne: elle s’enflamme à propos de Charlotte Gainsbourg, affirmant qu’elle serait prête à tout pour être comme elle. Son ton et ses réactions enfantines, cette surexcitation, intrigue. C’est aussi parce que toutes ces rencontres, ici celle d’une figure maternelle rêvée, pose une question qui demeurera bien sûr sans réponse : que veut-elle vraiment ? De même, l’homme qu’elle fréquente, ce professeur de cinéma également réalisateur, ne semble pas la satisfaire, alors même que c’est elle qui manifeste le désir de renouer. Au son de la 7e symphonie de Beethoveen, qu’il ne cesse d’écouter sur un vieux magnétophone qui crachote, on voit leur histoire s’engluer dans quelque chose d’informe. Peu d’espoir pour Haewon qui rêve pourtant de romantisme, de renouveau, de magie (la rencontre avec le professeur qui enseigne aux États-Unis) : mais tout est désamorcé aux plus vite, comme s’il fallait sans cesse revenir à la case départ.
Que cherche donc Haewon ? Peut-être juste un peu d’ivresse et un autre mystère, deux motifs illustrés par cette dernière rencontre avec un vieil homme. Une rencontre peut-être rêvée, puisqu’il est quasiment impossible de distinguer les séquences de rêve de celles « réelles » du film, où se cristallise toute la mélancolie de la belle, sur son fort, qui continue à attendre.