Qu’est-ce qu’il se passe ! Où suis-je ? Qu’est-ce que c’est que ce film ? On le regarde sans se méfier. Le titre nous met sur une fausse piste, avec ce jeu de mot un peu rigolo, un peu gênant : Haltéroflic. On pressent qu’il va y avoir un meurtre, une enquête, le tout sur fond de salle de muscu et de corps bodybuildés. On croit qu’on a affaire à une sorte de nanard policier gay des années 80 mais on ne met pas longtemps à comprendre qu’il s’agit en fait de tout autre chose.

D’abord d’un très bon film. Sur la forme il n’y a rien à redire. C’est plaisant à regarder, c’est vif, sans temps mort. Le duo Serge Avedikian et Illias Sikinos fonctionne à merveille. Le brun et le blond. Le petit policier sous couverture frêle et timide et l’haltérophile massif et carnassier, terré dans son église reconvertie en salle d'entraînement comme un homme des cavernes (Themroc es-tu là ?). Leur relation est fascinante. Ils s’entraînent, ils se cognent dessus, ils regardent la télé en mangeant de la viande crue et en buvant du lait, ils se recognent dessus, se massent, dansent. C’est n’importe quoi. Et puis le duo devient trio avec la chanteuse Lola Vanilla, interprétée par Marie Alcaraz, la chanteuse du groupe de rock prodigieux, au succès malheureusement éphémère, Ici Paris, et alors là ça devient sublime. Les scènes musicales du film sont incroyables. Le morceau « Bagdad » avec son refrain improbable (« les cobras twistent à Bagdad… ») justifie à lui seul le visionnage. On reste interdit devant ce rock oriental où un colosse à tête de reptile se fait dominer par une charmeuse de serpent-maîtresse SM entourée de ses musiciens en tenues coloniales, casques ronds et moustiquaires.

Sur le fond c’est tout aussi bien, mais c’est encore plus compliqué, et encore plus n’importe quoi. Il y a deux aspects dans le film, contradictoires seulement en apparence, l’un très enfantin (un peu comme dans une bande-dessinée) et l’autre très glauque et macabre.

Je dis enfantin parce que j’ai eu l’impression que tous les personnages se comportaient comme des enfants. Déjà les enfants se comportent comme des enfants. Comme ces deux petits garçons qui court partout, tout le long du film, et qui, quand ils ne lancent pas des fléchettes sur un mannequin de policier, s’échangent des images pieuses (« je te donne un saint Luc contre un saint Joseph »). Bref, ils font ce que font des enfants : ils jouent. Et tout le monde joue, les adultes aussi. Les adultes jouent avec les enfants (Loukas qui s’amuse à faire tourner le petit garçon comme un avion). Les adultes jouent avec les adultes (Loukas qui refait son petit numéro en faisant tourner Lola comme un avion). Et Lola en retour se joue avec finesse du désir de Loukas, en fait son jouet, sa peluche, l’appelant son « nounours » et son « patapouf ». François, le collègue de Guy, interprété par l’étonnant Ged Marlon, joue à se déguiser. On voit bien qu’il s’amuse follement à se travestir, sous prétexte de surveiller et protéger son collègue. Chacune de ses apparitions est l’occasion pour lui d’enfiler une nouvelle tenue plus exubérante que la précédente. Au départ, c’est la caricature du travelo débutant qui déambule péniblement sur ses talons hauts ; à la fin, c’est une diva qui se préoccupe plus de sa nouvelle perruque (« t’as vu mes nouveaux cheveux ? ») que de l’enquête, effaçant complètement le petit fonctionnaire à moustache chauve et terne, gérardjugnotesque, du début du film. Enfin, Guy joue lui aussi, au sens le plus simple où il joue un rôle pour dissimuler son identité de flic et être accepté par Loukas. Il ne joue pas comme un enfant, plutôt comme un adulte, mais il conserve un comportement très enfantin quand on le voit s’endormir avec ce mouchoir qui lui sert de doudou, au côté de sa femme qui évoque plus une mère qu’une amante.

Haltéroflic, c’est un jeu d’enfant. Et ce n’est pas moi qui le dis, je ne fais que citer François, dans le rêve-hallucination de Guy, écrasé sous sa barre de développé-couché. Dans cette scène de cabaret où, micro-pistolet en main, il présente la bande des féroces « Léopards » et annonce, sur fond de rock blues, l’intrigue du film :

Quant à Loukas Podakis, il s’entraînait le jour de la disparition. C’est un personnage sans scrupule. Il est capable d’avoir participé à l’enlèvement, moyennant finance. Il est trop buté pour le perquisitionner et l’interroger. L’idéal ce serait que l’un d’entre nous s’introduise chez lui. Avec des talents d’acteurs, ce sera un jeu… d’enfant. Un jeu… d’enfant.

Là où les choses se compliquent c’est que le jeu d’enfant se double d’une histoire macabre. La mort est là dans les premières minutes. La mort de Désiré, un étudiant africain, fils de bonne famille mais, semble-t-il, dangereux activiste politique. Est-ce un accident, un meurtre, un empoisonnement ? Où est son cadavre ? Loukas prétend qu’il l’a mangé. Guy a du mal à le croire. Plus son enquête avance et plus il devient le souffre-douleur d’un homme brutal, qui le roue de coups sous prétexte de l’endurcir, jusqu’à ce qu’il finisse dans un fauteuil roulant, le corps recouvert de bandages comme une momie. Toujours cette esthétique hétéroclite de bande-dessinée, mêlées d’images documentaires d’ethnologie, accompagnées d’une voix off décrivant les pratiques de sacrifice et de cannibalisme dans certaines tribus africaines.

À partir de là je n’ai plus aucune certitude, juste des hypothèses d’interprétation que je livre à votre sagacité. Le film pourrait relater un parcours initiatique, celui de l’enfance à l’âge d’homme. Guy est resté un enfant que Loukas se donne pour tâche de faire accéder à la virilité en passant par tous les degrés de la violence. Un entraînement sévère, puis des coups qui deviennent des bastonnades sans retenue, pour finir sur l’autel d’une ancienne église qui n’est plus un lieu de spiritualité, ni celui de l’exaltation culturiste du corps mais le théâtre d’un rituel animiste de sacrifice. De l’esprit à l’âme en passant par le corps.

Je m’arrête là parce que comme d’habitude je suis beaucoup trop long. Peut-être que ces deux pôles de l’enfance joueuse et de l’âge d’homme brutal ne sont pas si antagonistes que cela après tout. Il ne faut pas prendre ce film au sérieux, c'est ce qui le rend délicieux. Il faut plutôt le voir comme une sorte de bd où tout est possible, où les enfants jouent à être des adultes.

Ou peut-être que le film est une carte postale que nous envoie le facétieux réalisateur Philippe Vallois. À l’image de cette séquence initiale où l’on voit les deux athlètes faire de la corde à sauter sur le fameux titre « Stupide petit garçon ». Derrière eux, un gigantesque timbre-poste qui représente le Moulin Rouge, le Sacré Cœur, Notre Dame. "Ici Paris. Allô le monde ?" À vous de parler maintenant, moi je ne peux souhaiter à mon lecteur qu'une chose : « good luck avec ton reptile » !



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8

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le 15 mai 2022

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