Âpre et radical
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Tous ces défauts qui ne sont pas vraiment des chances. Il est vrai que ce Goldman était loin d’être un standard, un homme bien comme il faut. Voyou, aventurier, militant politique, écrivain, coqueluche de l’intelligentsia parisienne de l’époque. Qui est ce type ? D’où sort-il ? Figure composite qui parle tantôt comme un charretier, tantôt comme un homme du monde, voire comme un métaphysicien, lorsqu’il dit par exemple qu’il est coupable, pauvre bouc émissaire, de façon « ontologique ». Le jeu d’Arieh Worthalter, excellent en un certain sens, en devient du même coup composite. On a l’impression qu’il n’incarne pas le même personnage d’une scène à l’autre. Remarque au passage purement physique et pas métaphysique : Worthalter ne ressemble absolument pas au véritable Pierre Goldman. Cheveux noirs courts rabattus en avant comme un garçonnet, traits durs, expression teigneuse : un nom n'a cessé de s'afficher dans mon esprit tout le long du film : MANUEL VALLS. Du reste le personnage qu'il incarne semble aussi emporté et paranoïaque que le politique sus-cité. Sa ligne principale de défense : "c'est un complot, tous les policiers sont des racistes et des fascistes". De préférence en hurlant et éructant. Quelle mesure. Quel esprit de nuance. Et que dire de Kiejman, souvent décrit comme un virtuose du barreau ? Il apparaît plutôt comme un cuistre inénarrable, qui tente de déstabiliser les témoins par des procédés rhétoriques aussi artificiels qu'hors de propos. Par exemple lorsque cette pauvre femme vient témoigner et s’emmêle les pinceaux, cet histrion croit bon de citer le philosophe anglais Georges Berkeley, celui du « esse est percipi », (être c’est être perçu), pour moquer les contradictions dans son témoignage.
Il en résulte un film éprouvant, étouffant, fatigant nerveusement. Un film de mots où ne subsistent que le langage et les visages. C’est parole contre parole. « Words, words, words. » On ne sait plus où est la vérité et le mensonge, l’honnêteté et le culot éhonté. On baigne dans les mots. Le réel a disparu, tout n’est plus qu’interprétation et contradiction, réfutation et réfutation de la réfutation. Au commencement était le Verbe. Au milieu était le Verbe. A la fin était le Verbe.
Et puisque les mots sont si importants, je voudrais attirer l'attention sur ce petit détail qui ne parlera qu'à quelques uns. À un moment donné vers la fin du film, le jeune avocat maître Chouraqui évoque une phrase célèbre : « Pourquoi ne parle-t-on pas yiddish aux JCR ? C’est pour que Rachid puisse participer. » Sous-entendu : « pour qu’un prolétaire maghrébin puisse participer ». Esprit de fraternité, d’acceptation de l’autre, d’ouverture. Le problème c'est que l'originale, connue de tous les militants, est autre : « c’est pour que DANIEL BENSAID puisse participer ». La différence semble petite et pourtant elle est grande. C’est la mince feuille de cigarette qui sépare, comme dans ce triste fait divers, la vérité du mensonge. Si Goldman n’est pas coupable, qui a tué Simone Delaunay et Jeanne Aubert ? Il est très peu question des deux victimes dans le film, comme s'il s'agissait en fin de compte d'un éléments accessoire ou accidentel dans une affaire qui se nomme l'affaire Goldman et ne doit être qu'à propos de Goldman. Monstrueuse mise à l'écart du réel au profit du langage, toujours le langage, en vue d’une douteuse mise au pinacle d’un personnage miraculeusement disculpé par un tourbillon de mots pimentés ou poivrés, frottés les uns contre les autres.
Les minutes du procès existent-elles quelque part ? Dans quelle mesure les dialogues sont-ils fidèles aux paroles qui ont été prononcées ? Dans quelle mesure ils s'en éloignent ? Il n'y a pas d'autres questions intéressantes à mon sens. Et surtout pas : "qui a tué Goldman ?" Le carton à la toute fin du film laisse planer un faux mystère sur ce point. Il n'y a pas de mystère : Goldman a été tué par un commando de policiers qui ne supportèrent pas l’acquittement et décidèrent de rendre la justice eux-mêmes. On peut même retrouver les noms de ceux qui revendiquèrent le meurtre. La culpabilité de Goldman était si évidente et admise par l'opinion publique que personne à l'époque ne s'en émut. Les assassins de l'assassin ne furent jamais inquiétés.
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le 8 oct. 2023
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