Âpre et radical
Je n'ai vu aucun film de Cédric Kahn avant celui-ci et je dois dire que j'ai été surpris par la radicalité du film. On a un film en huis clos (enfin à part la scène d'ouverture qui sert vraiment à...
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le 3 oct. 2023
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Si on excepte la séquence d'introduction (dans le bureau de l'avocat de la défense, Georges Kiejman, faisant tout de suite comprendre que son client est un drôle d'animal qui ne va pas du tout lui faciliter la tâche !) et quelques courtes scènes se passant dans la cellule du prévenu, on ne quitte jamais la salle de tribunal tout au long de ce film. Il y a une bonne raison à cela, que le titre indique explicitement, on suit le procès d'un certain Goldman, Pierre Goldman (oui, le demi-frère de vous-savez-qui et oui, il s'agit d'un biopic, un biopic qui se concentre sur un moment précis de l'existence de notre lascar... je vais y revenir !), accusé de plusieurs braquages et surtout des meurtres de deux pharmaciennes, s'étant déroulé boulevard Richard-Lenoir à Paris, le 19 décembre 1969. S'il avoue pleinement les holp-up minables auxquels il a participé, il nie véhément les assassinats.
Le réalisateur Cédric Kahn, en utilisant notamment le format 4/3, resserre sa caméra sur les êtres qui ont la parole ou qui ne se gênent pas pour la prendre, l'accusé lui-même, son avocat, les autres magistrats, les divers témoins, de l'accusation, de la défense, se contredisant, à qui on demande d'avoir des souvenirs précis, six ans après les faits, des personnes dans l'assistance. La photographie sèche, documentaire, ainsi que l'absence de musique contribuent aussi à injecter un réalisme clinique.
Bon, on est en 1975 et on suit le procès en appel de Goldman, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité. Ce pauvre type, ce braqueur sans envergure, cet aspirant révolutionnaire sans révolution (que l'on va apprendre ou plutôt d'essayer d'apprendre à connaître tout au long du film !), voulant incarner un idéal politique, a pour lui un talent oratoire et un sens de la répartie incontestables, accentués par une rage d'indompté, de fou furieux (au grand désespoir de Kiejman qui aimerait apporter un peu plus de raison à toute cette passion incontrôlable et qui a rarement l'occasion de pouvoir l'ouvrir !), énervant tout en étant fascinant, ne manquant pas une seule occasion de cracher sa haine des flics, en les qualifiant sans cesse de racistes, et une plume efficace qu'il a su employer en prison en écrivant son autobiographie.
Ce qui a fourni à notre coco un turbulent fan-club gauchiste, s'astiquant sur cette figure rebelle, ayant su se créer une aura "sublime" auprès de ces gogos. Il a recours aussi à sa judaïté comme argument de défense (même si, bizarrement, il tempère, au dernier moment, cet aspect, lors de ses dernières paroles avant la délibération du jury, semblant raisonnable par rapport à tout le reste ; aussi argument qui a laissé une forte impression sur son avocat comme le révèle la plaidoirie finale de ce dernier !).
Mais, il n'y a pas que les gauchistes à se manifester bruyamment lors des audiences. Il y a aussi l'autre côté du spectre politique, par l'intermédiaire de représentants des forces de l'ordre, dont le fait, qu'ils aient torché l'enquête, à propos des deux assassinats, est mis en évidence. Ils étaient tellement obnubilés par l'idée de le faire pourrir à vie derrière les barreaux (voire par celle de lui faire perdre la tête puisque c'était avant 1981 !), vu leur haine viscérale à l'égard du monsieur.
Autant dire que l'ambiance est électrique du début jusqu'à la fin et que la tension ne s'évacue qu'une fois l'écran de cinéma redevenu blanc, les lumières qu'une fois rallumées. Dans cette optique, il faut rendre aussi à César ce qui est à César, les acteurs sont tous impeccables. En particulier un époustouflant Arieh Worthalter, dans le rôle-titre, physique à la Gian Maria Volonté (ce qui n'est pas sans rappeler tout un pan du cinéma politique italien des années 1970 !), qui souffle avec une énergie et un charisme du diable toute la hargne de son caractère.
Pour conclure sur la base de tout ce qui est énuméré au-dessus à propos du sujet, ce n'est pas le fait que Goldman soit un assassin ou non qui intéresse Kahn, ce sont en fait toutes les limites, toutes les failles, ô combien déplorablement humaines, phagocytant l'exercice judiciaire, sur lesquelles doit reposer la réponse à cette question, ne pouvant que laisser sur des interrogations, des doutes et des frustrations (le procès Goldman n'est malheureusement qu'un exemple - passionnant - parmi beaucoup trop d'autres !). Justice a bien été rendue ? Peut-être, peut-être pas...
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Créée
le 27 sept. 2023
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