Eros, Thanatos et un budget plus proche d’une présentation Powerpoint que d’un vrai film : voilà ce que nous propose Haman, premier film du jeune Okabe Tetsuya, présenté ce dernier mois au festival Kinotayo. Ancien assistant de réalisateurs de goût comme Miike Takashi, il choisit pour son baptême de nous narrer l’aventure de Haruka, une adolescente qui apprend à ses dépens et à ceux de son partenaire, qu’il lui est impossible d’avoir des rapports sexuels sans tuer son compagnon.
Si d’autres films ont déjà repris le thème de cette ligne ténue entre la mort et l’amour, Okabe Tetsuya décide d’éviter de se concentrer sur l’horreur ou la violence graphique, et de se réfugier dans le pathos et les pensées de cette jeune fille en plein doute. Faussement originale, cette prise de position artistique est pourtant très efficace dans le premier quart d’heure du film. Après une scène de sexe meutrière grotesque et plutôt amusante, on s’enfonce petit à petit dans l’esprit de Haruka, détruite par son aventure et honteuse, dans l’incapacité d’en parler. On la suit ainsi en plein choc post-traumatique, se repassant la scène dans son esprit encore et encore, cauchemardant de son défunt amoureux ou s’imaginant assaillie par les passants.
ette fine frontière entre la réalité et l’imagination d’une jeune fille détruite émotionnellement est le principal moteur du film dont la machine tourne très bien durant la première demi-heure. Haruka arrête de vivre et se replie sur elle même petit à petit, évitant les cours ou sa famille. Le point culminant arrive dans une fantastique scène de lynchage public dont l’absurdité est amplifiée par une réalisation agressive et un filtre bleu surréaliste du meilleur effet.
Mais les meilleures choses ont une fin et après ce très bon début, le film n’arrive pas à tenir la distance. Passé le choc des premières minutes, on se rend compte qu’il manque quelque chose. Beaucoup de personnages sont intégrés à l’histoire, mais aucun ne dépasse le stade du cliché. La famille de Haruka est d’une transparence assez impressionnante et en dehors d’un running-gag certes plutôt amusant, elle n’amène strictement rien au métrage.
Plus important encore, l’élément le plus important, la sexualité d’Haruka et les questions qu’elle se pose, n’est pas développé une seule fois après la première demi-heure. L’héroïne semble presque avoir accepté sa condition, et l’avoir oubliée, bâtissant une relation amoureuse deux semaines après avoir accidentellement tué son ancien amant. Quand Haruka rencontre une prostituée et son frère et qu’une romance naît avec ce dernier, on est parfois gêné de la façon dont elle est amenée, tant elle regorge de situations mièvres vues et revues. Là ou était possible une analyse de mœurs doublée d’une intensité sexuelle, on nous sert une balade en pédalo sur un lac, une musique douce passant en fond et un filtre blanc adoucissant l’image. De ces corps adolescents se désirant sans pouvoir jouir l’un de l’autre sous peine de mort, Okabe n’arrive pas à sortir autre chose que de vulgaires ressorts dramatiques dignes d’un drama.
Il est important de noter que quelques excellentes séquences se cachent au milieu de cette bouille informe qu’est la seconde partie du film. Il suffit qu’il sorte de son ronronnement pépère pour que l’intérêt du spectateur se ranime. Les rares scènes gores sont extrêmement réussies et satisferont les amateurs du genre. En témoigne la seconde scène de sexe, abjecte, vulgaire et voyeuse, présentant un viol dans une mise en scène statique en plan large presque digne d’un snuff movie.
Ce qui choque et qu’il faut retenir, c’est que la plus grande partie du casting et de l’équipe sont de nouvelles têtes. Okabe Tetsuya n’avait rien créé de lui-même avant Haman, Baba Nonoka, l’interprète de Haruka n’a aucun autre rôle à son actif et Kojima Yusuke, principal rôle masculin, n’a à son actif qu’un téléfilm et le discutable TV Show de Nakata Hideo. La seule actrice à l’expérience tangible est Mizui Maki, dans le rôle de la prostituée que croise régulièrement Haruka. Et encore, son expérience se résume à des seconds rôles chez Igushi Noburo ou Nishimura Yoshihiro ! Quand on prend ceci en compte et qu’on ajoute le budget ridicule de moins d’un million de yens (à peine 7 000 euros), le résultat est plus qu’honnête et garde la tête haute, même comparé à d’autres productions horrifiques récentes à plus haut budget. Baba Nonoka en particulier, est sublime dans sa performance tout en fragilité et en doutes adolescents. Tour à tour reine sanglante à la Carrie ou gamine perturbée, elle impressionne par la maturité et l’intensité avec lesquelles elle aborde son rôle.
C’est la la force et la faiblesse du film. Si cette naïveté et cette envie de bien faire caractéristiques des premiers films donnent toute leur saveur aux scènes les plus extrêmes, elle rendent en général le film trop sage. Okabe a peur, ou n’a peut-être pas l’envie de rendre son film trop violent, préférant l’adoucir à coup de scènes mièvres et de personnages secondaires clichés. Haman n’est pas un excellent film, ni même un très bon film, mais c’est un premier film très correct qui laisse surtout transparaître de nombreux potentiels. Si Okabe décide d’aller au bout de ses idées, il pourrait devenir un réalisateur avec lequel il faut compter. Quant à Baba Nonoka il serait surprenant que sa carrière ne démarre pas après un premier rôle aussi difficile mené avec autant de brio.
Que le remplissage, certes extrêmement présent ne nous fasse pas oublier que quand le film décide qu’il est temps de passer à l’action et délaisse ses affreux clichés romantiques, il devient le petit film ero-guro-nansensu jouissif qu’on attendait.
Plus proches du comique et de l’hystérie d’un Kago Shintaro que de la poésie d’un Maruo Suheiro, ces séquences en question sont vraiment réussies, en témoignent les grandguignolesques et sublimes dix dernières minutes qui réveilleraient presque les fantômes du Strange Circus de Sono Sion.