Hammam
6.7
Hammam

Film de Ferzan Özpetek (1997)

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Je me souviens de cette séance où j’ai visionné le film HAMMAM de Ferzan ÖZPETEK, la semaine de sa sortie parisienne au MK2 Beaubourg. J’étais accompagné par un ami avec lequel nous partagions une belle complicité et de nombreux spectacles. Nous nous sommes installés. Pendant l’attente de la projection, j’ai ressenti l’atmosphère de la salle comme singulière, au sens où j’avais l’impression que des ondes de sympathie se propageaient parmi les spectateurs. C’était comme l'annonciation des brises légères d’Istanbul que j’allais découvrir bientôt sur l’écran !

Cette évocation me rappelle la magie du cinéma qui est aussi une émotion partagée dans une salle, celle-ci pouvant se transmuter en un précieux souvenir, indélébile, comme s’il était fixé sur la pellicule d’avant le numérique.

Aujourd’hui je revois HAMMAM en VOD (version restaurée). Que vais-je y retrouver ? Les mêmes sensations des brises légères d' Istanbul ? Les mêmes effluves de ce passé cinématographique ? Une déception ? Que vais-je en dire à présent ?

Je retrouve tout d’abord la frappe d’ondes musicales martelées qui rythment un générique tonique, aux  plans découpés comme un sommaire, afin d’exposer les prémices ainsi que le contexte de cette histoire. 

Francesco et Marta forment un couple moderne de brillants architectes, confortablement installés dans une superbe demeure dans la ville de Rome. La contrepartie de cette réussite professionnelle, qu’ils partagent sur un pied d’égalité, est une vie envahie et cadencée par les responsabilités et les exigences de leur métier. La nouvelle qui arrive, impromptu, au commencement d’une journée d’été, est double. Elle annonce le décès d’une tante émigrée à Istanbul peu avant la naissance de Francesco et l’héritage du hammam désaffecté qui lui appartenait. Contrarié par la perte de temps qu’engendre le déplacement à Istanbul afin de gérer cette succession, Francesco souhaiterait que ce soit Marta qui s’en occupe. Le couple se querelle quelque peu, mais finalement Francesco accepte ce voyage afin de réaliser au plus vite la vente du hammam. 

A partir de cette situation, le réalisateur, grâce à l'alliance délicate d'une poésie d’images et de moments musicaux, va parvenir à révéler, en les faisant renaître chez Francesco et Marta, les couches profondes qui président à l’individualisation de l’être confronté à l’expérience de l’altérité, de l’espace et du temps.

L’établissement de bains est situé au coeur du vieux quartier des maisons de bois d’Istanbul. Francesco est chaleureusement accueilli par la famille qui en occupe les dépendances : Perran, Usman et leurs enfants, deux beaux adolescents Fussun et Mehmet. Le citadin surmené qu’est Francesco, va donc partager le quotidien de cette famille traditionnelle particulièrement unie et volubile.

Peu à peu, il s’abandonnera  à la nature sensuelle  des liens qui l’entourent et qui feront surgir des questions : qui est donc cette tante Anita quittant brusquement l’Italie dans les années soixante et qui va réussir à créer un des hammams les plus réputés d’Istanbul ? Pourquoi sa mère avait-elle souhaité rompre le lien généalogique en ne répondant pas aux lettres sincères de sa soeur Anita qu’il trouve dans la chambre de la défunte ? Que révèle de troublant  ce monde oriental caché, voire nié ?

Le cinéaste va réaliser une scène où il montre Francesco se promenant sous le dôme de l’architecture de bois, de pierre et de fresques défraîchies dont il perçoit la beauté liée aux nuances de vert et d’ocre de Sienne qui persistent encore. Cette perception est magnifiée par l'exposition d'un thème musical inspiré d’une chanson populaire russe. Il est élaboré par l’utilisation d’un continuo de percussion qui donne une matière sonore hypnotique, véritable musique de transformation qui nous fait ressentir le dialogue intérieur de Francesco. Il y a dévoilement de la dialectique des confrontations qui génère l’expérience de l’inconscient. Il y a métamorphose psychologique. Francesco glisse dans le monde indifférencié. Le cinéaste traduira cela par la relation amoureuse  qui va naître entre Francesco et le fils de la famille.

Les jours passent. Le séjour se prolonge. Francesco ne vendra finalement pas le hammam car il décide de le restaurer. Se greffe alors une histoire sordide de corruption des promoteurs immobiliers. Le monde oriental lui aussi se transforme et va vers la modernité.

A Rome, Marta s’impatiente. Elle vient donc rejoindre son mari à Istanbul.

La froideur de leurs retrouvailles laisse entrevoir les anfractuosités de leur relation (elle est d’ailleurs décidée à annoncer son souhait de séparation…) Mais, elle aussi, va succomber à la magie de l’orient, comme l’évoque une autre superbe scène du film où l’on suit Marta se promenant dans les ruelles chaudes, goûtant les volutes du zéphyr qui agite délicatement les traits aiguisés de son visage, de sa chevelure brune  et de son foulard d’étoffe vermillon. Elle est belle. Son désir pour Francesco se réveille, mais il n’y répond pas. Une nuit, elle surprend Francesco et Mehmet tendrement enlacés. Explication, incompréhension. Marta décide donc de retourner à Rome. Francesco lui confie alors les lettres d'Anita.

Elle pensait ne plus aimer Francesco mais, paradoxalement, la vision de cette étreinte a semé un doute fugace…Le taxi l’emporte vers l’aéroport alors que le vieux quartier des maisons de bois bascule dans le drame. Francesco est frappé mortellement au ventre à l’arme blanche.  Avertie de cet assassinat, Marta renonce à son voyage de retour, et comme son mari défunt, elle est happée par le monde oriental. Elle prend symboliquement la place d’Anita dans une répétition qui consomme le clivage entre un orient sensible, envoûtant et un occident dont la rationalité pousse jusqu’à l’éradication du sentiment de l’Autre.

J-J-P-P
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le 16 janv. 2024

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