Le mari d’Hannah vient d'être incarcéré. Un beau matin, il a mis sa plus belle chemise et s’est rendu à la maison d'arrêt, accompagné de sa fidèle épouse. La raison de cet emprisonnement ? Andrea Pallaoro a choisi de ne pas l'expliciter. Il n'entend nous montrer que l'effet produit par cette solitude sur l'héroïne. Le réalisateur l'a dit, cette question l'intéresse : comment fait-on lorsqu'on est soudain séparé de quelqu'un avec qui on a partagé toute sa vie ?

La vie de couple transforme l'autre en miroir de vous-même. Or, pour Hannah, dont le prénom palindrome est construit en miroir, ce vis-à-vis a soudain disparu. C'est pourquoi Pallaoro insiste sur les reflets dans sa première demi-heure. Hannah observe une femme qui se change dans le métro, filmée dans le reflet de la vitre. Hannah nous est montrée via une vitre, celle du train ou du bus qu'elle emprunte. Dans sa chambre, une armoire à glace découpe l'écran comme un split screen. Elle observe une scène de tournage derrière la vitrine translucide d'un magasin de fleurs. Les teintes bleues dominent.

Le quotidien d'Hannah, ce sont ces cours de théâtre qui incitent à sortir de soi-même, son travail de femme de ménage chez des riches qui ont un enfant autiste, un passage à la piscine, des fleurs qu'on achète puis qu'on découpe, ses trajets en transport en commun qui la confrontent à une femme en colère ou à un danseur qui fait son show. Tout n'est pas si anodin, Pallaoro distillant quelques indices : les lys sont débarrassés de leur pistil, leur attribut sexuel ; la scène qu'elle travaille est une scène de rupture, où la femme déclare avoir besoin de couper tous les ponts ; le chien ne veut plus s'alimenter, restant fidèle à son maître.

Et puis surtout, il y a ce fils, qu'Hannah appelle régulièrement, sans obtenir de réponse. Lorsque Hannah apporte un gâteau, elle est refoulée par celui-ci car elle n'est pas "la bienvenue ici". Un peu plus tard, au parloir, Hannah dira à son mari qu'elle a "trouvé des photos". Il y a encore cette étrange fuite d'eau, qui oblige Hannah à monter à l'étage : sur un fond de musique techno agressif, elle découvre des enfants laissés à eux-mêmes, qui ont laissé déborder la baignoire. Des enfants laissés à eux-mêmes, se dit-on après coup ? Tout cela nous mène sur la piste d'un abus sexuel du mari d'Hannah sur son petit-fils. Probablement dénoncé par le père d'icelui, menant le vieil homme sous les barreaux, ce qui fait dire à ce dernier "comment peut-on faire ça à son père ?!". Ces indices forment un halo assez nébuleux. Surtout, il est dommage que Pallaoro ait orienté l'attention du spectateur vers cette énigme : le projet perd en singularité. C'est bien le seul point où Pallaoro ne va pas jusqu'au bout de son parti pris.

Car pour le reste, Hannah eût pu s'appeler Charlotte : Charlotte Rampling est de tous les plans. Pallaoro a expliqué que le film n'aurait pas été fait avec une autre actrice. Saluons l'engagement de la comédienne, qui assume son âge jusque dans la nudité - le suprême tabou au cinéma. L'affliction se lit en permanence sur son visage : on ne la voit sourire que lorsqu'elle rend visite à son mari, incarné par André Wims. Après la scène déchirante où elle est refoulée devant la maison de son fils son gâteau à la main, elle pleure longuement sa douleur. Hannah est comme cette fascinante baleine échouée sur une plage, image dont Pallaoro a expliqué qu'elle était à l'origine du film. Seul un petit être lui aussi perdu, Nicolas, lui redonne vie. Elle lui invente des histoires en lui caressant les cheveux.

Echappées éphémères, car on va la voir sombrer : elle donne le chien, quitte son travail plus tôt, interrompt l'improvisation théâtrale qu'elle avait entamée. Enfin, dans une scène que j'ai beaucoup aimée, rythmé par le pas de ses talons, elle descend longuement les escaliers du métro pour arriver jusqu'au quai. Va-t-elle se suicider ? Le plan le laisse craindre. Mais Pallaoro ne fait décidément pas dans le sensationnel. Sa conclusion est bien pire : Hannah ne se tuera pas, elle devra vivre avec son mal-être.

Nulle musique extradiégétique. A l'os ! Le film de Pallaoro m'a fait penser - une fois de plus ! - à Jeanne Dielman récemment élu meilleur film de tous les temps. (En particulier les scènes dans la très peu sexy cuisine et celles dans sa chambre avec l’armoire à glace.) Une femme dans son quotidien, et ce quotidien qui se détraque. Toutes proportions gardées certes : Hannah n'a ni la puissance plastique ni l'intensité dramatique du chef d'oeuvre d'Akerman. Le geste est estimable mais d'ampleur réduite. On en garde donc un goût singulier, sans qu'il soit inoubliable.

7,5

Jduvi
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le 5 juin 2024

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Jduvi

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