Happy Birth Dead (pour une fois que les Français ont une idée de titre anglais pas trop pourrie…) fut une agréable surprise de l'année 2017. Le film ne révolutionnait aucun des deux genres qu’il croisait, le slasher (film de tueur en série) et la boucle temporelle (à la Un jour sans fin), mais il les mariait justement avec malice et énergie, celle de la mise en scène de Christopher Landon. Puis son actrice principale Jessica Rothe, véritable révélation dans un genre de film dont on n’attend pas ce genre de choses, excusait bien des ratés de son scénario, comme son dénouement aussi ridicule que prévisible. C’était fun et rafraîchissant, comme elle, et, en somme, un parfait film du samedi soir… dont on n’attendait pas forcément une suite, puisque tout était bien qui finissait bien, fût-ce sans explication du pourquoi du comment. Mais voilà, avance rapide, nous voilà en 2019, et suite il y a. De quoi allait-elle bien parler ? Tree, l’héroïne, allait-elle de nouveau se retrouver à la fois dans une boucle temporelle ET la proie d’un tueur masqué (ou d'une tueuse…) ? Ça aurait été un peu fort de café. Alors, quoi ? Il n’est jamais venu à l’esprit d’Harold Ramis de donner une suite à Un jour sans fin, car le postulat du film ne s’y prêtait pas. Ce Happy Birth Dead numéro deux avait besoin d’une sacrée putain de bonne idée. C’est ce que Landon, réalisateur du premier passé réalisateur ET scénariste du deuxième, a cru avoir, de toute évidence. À raison ? Warning : critique remplie de spoilers.
De l’art du grand écart (des genres)
HBD, c'était donc Scream rencontrant Un jour sans fin. Au lieu de redémarrer au moment où la protagoniste finissait par s'endormir, comme dans le film d'Harold Ramis, la boucle temporelle avait besoin que Tree y passe, et re-passe, dans une ambiance de teen movie et de slasher avec suspense à la clef. Nous l'avons établi : comme face à Un jour sans fin, le spectateur n'en avait rien à cirer, du pourquoi et du comment de ladite boucle. La fameuse idée-force de Christopher Landon, pour HBD2YOU, est une déviation radicale de cet esprit : non seulement la suite allait a) aborder le pourquoi du comment, elle allait b) le faire sous un angle science-fictionnel, et c) dans un esprit bien plus potache que le premier opus. Place à HBD2YOU : une comédie de SF, en certains endroits même une ROMCOM de SF, dotée d'éléments de slasher. HBD était une comédie d’horreur – rappelons-nous que Scream, sa référence, appartenait lui-même à ce registre, et assez génialement, ajouterons-nous. Mais c’était généralement de l’humour noir, du sarcasme malicieux et savamment dosé dans un écrin de thriller. HBD2YOU, lui, ouvre grand les vannes de l’humour, et cette fois-ci un humour bon enfant rappelant un peu celui de Retour vers le futur, c’est-à-dire sa NOUVELLE référence, s’ajoutant à Un jour sans fin et à Scream... en remplaçant presque ce dernier. Le réalisateur désarçonne d’entrée de jeu son spectateur en suivant pendant une bonne dizaine de minutes le personnage de Ryan, l’Asiat’ un peu boulet du premier opus, de sa voiture au département tech de l’université où lui et ses camarades nerds construisent… une machine à voyager, euh, ailleurs. Le temps, les dimensions, on s'en fout. L’important, c’est qu’on est bien loin de Tree fuyant le baby-face killer dans des couloirs sombres, et plus proche d’un épisode de The Big Bang Theory... impression accentuée par la présence d'un Indien comique (joué par Suraj Sharma) dans les nouveaux personnages. La délicieusement insupportable Danielle parle de même de « creepy little Comic-Con meeting » quand elle voit les nerds réunis autour de Tree.
Autant le dire tout de suite, cette partie n'est pas à prendre au sérieux, surtout dans le détail – nous y reviendrons. Le coup de l’étudiant super-nerd bricolant la plus prodigieuse invention technologique de l’histoire de l'humanité avec ses petits camarades de classe rappelle les teen movies de « SF » des années 80 du type d'Une créature de rêve, de John Hugues, utilisant la science comme moyen de bien se marrer. Le choix de cette voie fera rouler les yeux au spectateur le moins tolérant avant même qu'elle ne soit explorée. Mais si l’on accepte ce postulat avec le recul amusé que cela requiert... c’est plutôt fun. Les comédies de voyage temporel et/ou dimensionnel ne sont pas si nombreuses que cela, c’est pourquoi les nostalgiques de Retour vers le futur ont tendance à s’accrocher au premier culte potentiel venu, comme le sympathique Hot Tub Time Machine (La Machine à démonter le temps, en VF). De ce point de vue, HBD2YOU ne manque pas d’arguments. En plus de l’héroïne, on retrouve les personnages du premier opus, le fort sympathique Carter, le sidekick-boulet Ryan, la susmentionnée Danielle, pouffiasse snobinarde tout droit sortie de Mean Girls, et Lori, la meilleure amie devenue psychopathe sanguinaire, leurs aventures sont pleines de rebondissements (comme la révélation de l’identité du tueur de Ryan, ou encore la réapparition de la mère de Tree), les gags font souvent mouche. Ça se veut à la fois divertissant et malin, comme les films de Zemeckis. On retrouve même, à quelques moments-clefs, un morceau de la bande originale de Retour vers le futur, le même qu’a emprunté la (catastrophique...) seconde saison de Future Man, il y a quelques semaines. On accueille à bras ouverts le retour au fameux « death day », avec son étudiant goth et sa militante écolo, et la découverte par Tree des dissimilitudes entre sa dimension et la dimension parallèle est un de ces trucs qui divertissent facilement. Puis quand le film conjugue les intrigues très distinctes de la machine à traverser les dimensions et de la boucle temporelle, la narration s'en sort plutôt bien, évitant ce qu'il faut éviter lorsque les jours commencent à se répéter UN PEU trop : par exemple, on a droit une fois au moment où Tree convainc le groupe qu'elle dit la vérité, pas plus, fort heureusement. On a un peu de mal à croire que ce dernier soit si facilement prompt à risquer ses études et donc son avenir pour elle, mais au moins, le film ne perd pas trois heures à essayer de nous le faire gober.
En même temps, QUI n’aiderait pas Tree, quand elle a les superbes traits de Jessica Rothe, croisement d’une variante plus expressive de Blake Lively et d’une version moins artificielle d’Ivanka Trump (certains auront une réaction de dégoût viscérale à la lecture de ce nom, c’est leur droit) ? L’actrice était le moteur à propulsion de HBD, et ce dernier n’a rien perdu de sa puissance : autant dire qu’elle met le feu dans un rôle pourtant TRÈS consommateur en énergie. Son craquage de plomb lorsqu'elle réalise qu'elle est de retour dans le « death day » vaut à lui seul le déplacement en salle, suivi de très près par ce montage topissime où elle se suicide de façons diverses et variées, que ce soit lorsqu’elle se jette tête la première dans la broyeuse à bois (« tree removal », en anglais !) ou lorsqu'elle saute d'un avion en bikini. Charismatique en diable(sse), dotée d'un timing comique épatant et d'un talent d’actrice qui s'illustre joliment dans les scènes mélodramatiques du film, Rothe confirme tout le bien qu'on pensait d'elle en livrant une performance encore PLUS satisfaisante que celle du premier film.
L’ambition de ce dernier ne se limite pas à sa dimension SF : elle confronte le spectateur à un twist aussi inattendu (puisque toute cette histoire de multiverse l’est...) que bourré d’implications assez fortes d’un point de vue dramaturgique ET philosophique : le retour susmentionné de la mère, jouée de nouveau par la charmante Missy Yager. En empruntant cette voie, Landon a conféré à son film une épaisseur dramatique bienvenue, et donné à Rothe quelque chose à jouer qu’on ne voit pas exactement tous les jours, pour un résultat étonnamment touchant, compte tenu de l'esprit du film. Certains trouveront cette partie tarte, c'est dommage.
Après, en parlant d’émotions, tout ne fonctionne pas non plus, sur ce plan… à commencer par les moments où HBD2YOU passe de la « com » à la « romcom ». Un des changements qu'il apporte est l’importance accordée à l’amourette entre Tree et Carter. Dans HBD, Carter est le cliché du héros de teen movie, à la fois pas trop charismatique pour que le public masculin s’identifie aisément à lui, et suffisamment beau gosse quand même pour qu'on trouve crédible qu’une fille canon s’amourache de lui. Comme il n’a l’air de rien, Tree ne le remarque pas vraiment au début, trop occupée par sa situation cauchemardesque, puis au fil de l’intrigue, elle apprend à connaître Carter, et finit par tomber amoureuse de lui : zéro surprise, mais zéro matière grasse non plus, ça passait très bien. Dans ce deuxième volet, c’est tout à coup le grand amour, suffisamment grand pour avoir une potentielle influence sur la décision de Tree de rester ou pas dans la dimension parallèle ! Et ça, ça ne marche pas entièrement. Les deux acteurs ont une certaine alchimie et l'on aime bien leurs personnages, mais ces derniers ne se connaissent que depuis deux semaines pour elle (soit une quinzaine de répétitions du « death day ») et moins de vingt-quatre heures pour lui (l'auteur de ces lignes réalise maintenant qu'il avait le même problème avec l'histoire d'amour entre Jack Bauer et Renee Walker dans 24...). Toute cette partie de l’histoire n’emballe pas parce qu’elle manque d’épaisseur dramatique, et si elle passe de justesse (et non sans causer quelques dégâts), ce n'est QUE grâce à la performance habitée de Jessica Rothe et à la dégaine de décidément bon gars d’Israel Broussard.
Même pas peur
Donc, grand écart, oui, sauf que ça peut faire mal, voire très, si l’on ne s’est pas échauffé avant.
Quand bien même tout aurait fonctionné dans la partie que nous venons de traiter, il subsisterait un sérieux problème : le fait qu’en tant que slasher, HBD2YOU vaut peau de balle – même en tant que parodie. Christopher Landon, à l’occasion de ses interviews, a pas mal disserté sur l’identité de la saga, suggérant justement qu’elle a été pensée comme une saga, alors que ce deuxième opus a quand même tout de la suite bricolée par des gens qui n’avaient pas du tout vu venir le succès de leur film, et avançant que l’élément SF était là depuis le départ… il n’agissait simplement pas de façon visible dans le premier film ! Avec une héroïne qui n’a jamais entendu parler des Retour vers le futur, comme si elle n’appartenait pas à cet univers ? Étrange. HBD2YOU, titre assez con au passage, n’a juste pas l’air d’un film à l’intrigue mûrie sur des années. En le regardant, on a l’impression que Landon était trop occupé à jouer avec sa machine à traverser les dimensions pour penser à soigner son intrigue de tueur en série. Or, son prédécesseur assumait totalement sa dimension slasher. Pourquoi donc la négliger à ce point dans une suite soit-disant prévue à l'avance ? Insistons bien là-dessus : cette partie est son maillon faible. On n'en a littéralement rien à secouer. La révélation finale, grand-guignolesque au point de rappeler les mongoloïderies qui servaient de conclusion à Scream 2 et Scream 3 (aaaah, la mère Loomis !), constitue presque un anti-climax. Certes, la révélation finale de HBD était, elle aussi, assez bidon, nous l’avons évoquée au début de cette critique, mais au moins, elle cadrait avec le reste du film.
Le problème vient en bonne partie du fait que RIEN ne justifie l’existence du tueur. Une des questions qui entouraient le plus vivement l’écriture de cette suite concernait sa dimension slasher, car Landon n’allait sérieusement pas remettre son héroïne aux prises avec un tueur, l’idée-même étant ridicule. Or devinez quoi ? C’est exactement ce qu’il a fait. En faisant du professeur Butler un tueur, comme ça, pouf. Mieux : de lui ET son épouse ! Paraîtrait-il que la décision est un clin d’œil à une version du scénario du premier film. Problème : c’est un clin d’œil qui ne concerne en rien le spectateur. Ce dernier s’en contrefout. Tout ce qu’il veut, c’est un choix scénaristique qui n’a pas besoin de la section « trivia » d’IMDb pour être recevable. Et là, ce n’est pas recevable. Ça ne fait même aucun sens. Nous avons mentionné les Scream, plus haut. Le même problème se posait, réflexion faite : faire des suites de slasher centrées sur le tueur en série se tient, mais quand ces suites sont centrées sur les GENTILS, ça fait d'eux les personnes les plus malchanceuses de l’univers, croisant dans leurs vies non pas UN tueur en série, mais au moins autant qu’il y aura de films…
Pour aggraver son cas, le réalisateur, pas vraiment la relève de Wes Craven, n’essaie même plus de rendre palpitant la partie thriller. À l'exception de ce moment où Ryan reçoit des photos de lui prises en quasi-temps réel par le tueur tapi dans l'ombre, idée qui aurait très bien pu se retrouver dans un Scream, le spectacle est d’une extrême platitude en tant que « film de peur », criblé de clichés (quand le même Ryan se retrouve dans un hangar sombre entouré de mannequins portant le même masque, au secours…). L'action se limite au même ressort : un personnage se retrouve dans un intérieur peu éclairé, s’attendant au pire, une arme de fortune généralement à la main, et le tueur apparaît soudain derrière lui, bien annoncé par le silence et le cadrage. Boum. Comme disent les Américains, jump scares, jump scares, jump scares, rien que ça, et même pas vraiment, puisque vous n'aurez jamais vraiment peur. Christopher London fait du bon boulot, dans l’ensemble, mais il a encore plus de mal à faire peur que dans le premier volet, qui avait au moins une ambiance. C’est pourquoi il ne faut ABSOLUMENT PAS voir HBD2YOU comme un film d'horreur, même à moitié. Autrement, il donnerait l'impression d'avoir été écrit par un gars qui n'a jamais vu de sa vie le moindre film du genre.
Hélas, détourner le regard ne fera pas disparaître cette débandade : comme HBD2YOU a décidé d’agiter la menace d’un NOUVEAU tueur, il faut bien révéler son identité. Aussi le dernier acte du film est-il une conclusion à rallonge, comme la fin du troisième Seigneur des Anneaux (toute proportion gardée, on se calme). On a d’abord un climax d'action assez réussi quand Tree jette sa voiture contre une centrale électrique pour empêcher la mise en route de la machine, puis un climax dramatique lui aussi fort satisfaisant lors de ses adieux à sa mère, et ça aurait dû finir au moment où elle s’apprête à quitter cette dimension qui n’est pas la sienne, c’est-à-dire avant que le principal ne vienne confisquer la machine avec deux molosses de la sécurité et ne nous vale dix minutes supplémentaires d'action bien relou dans l'hôpital, soit l'anti-climax susmentionné. Si toute cette partie devait être sauvée, ce serait par la belle performance de Rachel Matthews en Française aveugle nommée Amélie Le pieu (!)... le film s'en sortant VRAIMENT mieux quand il s'agit d'amuser.
Une trame de SF trop ambitieuse pour son bien ?
De toute évidence, Christopher Landon, avant tout connu pour avoir écrit les scénarios de Paranormal Activity 2, 3, 4, et 5, a trop voulu en raconter en ajoutant un troisième genre à la (désormais) saga, et le genre du slasher en a fait les frais. Maintenant, la partie aventure de SF tient-elle pour autant assez la route pour qu’on lui pardonne ce ratage, avec l’aide de la continuation réussie de la boucle temporelle ? Tout au long du film, le spectateur enthousiasmé (enfin, celui qui sera enthousiasmé) se dit : « L'héroïne charismatique, la galerie de persos secondaires hauts en couleurs, les possibilités d'intrigues virtuellement infinies... quand sort la série, au juste ? » Et à la fin, c'est presque comme si Blum l'avait entendu, avec cette promesse bien claire de troisième volet encore plus axé SF – et qui aura alors un encore plus gros problème de titraille et de promotion, nous aborderons ce sujet en conclusion. Mais le deuxième le mérite-t-il seulement ?
Oui et non. D’abord, oui, ensuite non, puis à la fin, « rôh, vous êtes chiants, à la fin ». HBD2YOU a tout de du divertissement fun, bien rythmé et cinégénique capable d’emballer sans se faire prier le pop-corneur pas trop exigeant, mais qui résiste difficilement à l’épreuve du décantage. HBD n’était pas sans incohérences. Par exemple, l’auteur de ces lignes a passé une partie du premier film à se demander POURQUOI Tree ne se faisait simplement pas envoyer en taule dès les premières lueurs du « death day » – soit l’endroit le plus sûr pour ne pas être attaqué par une meilleure amie psychotique – ni ne parvenait à ôter au moins une fois son masque au tueur, quitte à se faire zigouiller. Tout ne fonctionnait pas. Mais HBD ne jouait pas au film cérébral. Cette suite, si.
Le principal problème est que son scénario n’est pas à la hauteur de ses ambitions. Vouloir expliquer est une ambition louable, mais la contrepartie est que l’explication doit faire à peu près sens. Et c’est là que Landon s'est pris les pieds dans le tapis, parce que son histoire ne se tient à aucune logique constante. Admettons que l’on gobe le coup de la machine de Ryan, « projet de thèse » (sic !) capable d’ouvrir des portes vers d’autres dimensions. Qu’en fait HBD2YOU ? Ryan se trouve à son tour dans une boucle. Pourquoi ? Comment ? Nosé. Et ça restera ainsi, le film retrouvant très vite son héroïne, comme si de rien n’était. Un des plus gros twists du film est l’identité du tueur de Ryan : alter-Ryan, débarqué dans cette dimension pour l’empêcher d’utiliser la machine. Et après ? On ne le mentionnera plus jamais. Puis l’explosion de la machine du vilain Ryan expédie Tree dans un univers parallèle. Partant du principe qu’il a croisé deux Ryan, le spectateur s’attend, en toute logique, à tomber sur une alter-Tree. Sauf que celle-ci n’existe pas… notre Tree ayant soit-disant voyagé par sa seule conscience ! Pourquoi ? Pour rien, oh, regardez là-bas, un éléphant ! L’intrigue prend un nouveau virage : à présent, Tree doit retourner dans sa dimension ! Pourquoi pas ? Dramatiquement, ça a du potentiel, un potentiel que le film saura, lui, plutôt bien exploiter, d’ailleurs. Mais continue de trotter dans la tête le même genre bien chiant de questions pratiques : que s’est-il donc passé avec Ryan ? En vertu de quoi alter-Ryan pensait qu’assassiner son alter-ego réglerait le problème ? Et puis… comment tout le bidule fonctionne, déjà ? Pourquoi ne voit-on qu’une seule dimension parallèle ? Comment la machine peut-elle ne renvoyer qu’à elle ? Dans Retour vers le futur, c’est simple, on monte dans la DeLorean, choisit la date en sachant qu'on apparaîtra à l'exact même endroit de la planète, monte à quatre-vingt-huit miles à l’heure, et paf, mais là… c’est le flou total. C’est comme si le premier acte du film ne s’était jamais produit. Et puis, si la machine est capable d’avoir un effet sur Ryan, pourquoi notre petite troupe part-elle du principe que lancer la machine n’affectera QUE l’héroïne ? Même sans l’histoire de Ryan… qu’est-ce que Tree a de si spécial pour être la seule affectée ? Pour finir : alter-Ryan n’encourage-t-il pas ses camarades à détruire la machine ? S’en foutent-ils au point de ne même pas discuter des possibles effets collatéraux que produira le renvoi de Tree dans sa dimension ? Certains nerds à l’imagination fertile sont parvenus à trouver quelques explications, mais ce ne sont que des spéculations, Landon ne donnant même pas de pistes de réflexion. Trop facile. Pour finir, la scène mid-credits au QG de la DARPA, qui a confisqué la machine et souhaite s’en servir, suggère, via une idée « lumineuse » de Tree, que l’on peut choisir QUI sera affecté par la machine (en l’occurrence, cette pauvre Danielle)… alors que tout, jusque-là, prêtait à penser que la machine était incontrôlable.
Cette paresse intellectuelle affecte même le mélodrame. Oui, le dilemme de Tree est passionnant, et Landon, fort de la performance de Jessica Rothe, parvient à lui donner une certaine force dramatique. Mais dès que l’on commence à réfléchir aux implications pratiques, la première question qui vient à l’esprit est : s’il n’y a pas DEUX Tree dans cette dimension parallèle, OÙ se trouve la conscience d’alter-Tree, dont l'héroïne a en toute logique « emprunté » le corps, celle qui n’a jamais vécu le décès de sa mère ? Et si jamais l’héroïne décide de rester dans cette dimension, que deviendra-t-elle ? Son esprit flottera-t-il à jamais dans l'éther interdimensionnel ? Cet exact cafouillage était presque fatal à Source Code. Ce n’est pas le cas ici, mais c’est quand même difficile à ignorer.
Dernier des problèmes de cohérence : le personnage de Lori. Elle était déjà un boulet du premier film, puisqu’on devinait facilement qu’elle était la tueuse et que ses motivations étaient ridicules. Mais là, on passe à la vitesse supérieure. Là, on parle d’une incompréhension de ce qu’est l’univers parallèle en soi. Une version alternative de soi diffère forcément de soi, cette différence ne faisant qu’augmenter à mesure que remonte dans le temps le point de séparation des deux lignes temporelles, MAIS à moins d’événement traumatique, on pourra parler de la MÊME personne, dans les grands angles, à quelques variations près. Or, avec Lori de cette suite, on a tout bonnement affaire à un changement de personne. Pour faire ce qu'elle était prête à faire à l'héroïne dans HBD, elle devait avoir un sérieux putain de grain, une prédisposition naturelle à la folie homicidaire, quelque chose d'inné. Or, dans HBD2YOU, fifille est soudain parfaitement équilibrée. Alors qu’aucune expérience traumatique antérieure ne sépare les deux Lori, dans la mesure où elles se retrouvent à faire exactement le même travail, suivre exactement le même cursus, avoir exactement la même coloc, et se coiffer de l’exacte même manière. Qui plus est, à la fin, Tree la traite comme si la Lori qui a essayé de l’assassiner n'était qu'un vilain cauchemar, comme si celle-ci était la « bonne » Lori ! Tout est pardonné ! Les autres personnages sont à peu près restés les mêmes, heureusement : par exemple, alter-Danielle a beau être plus sympa que la Danielle qu’on connait, il n’est pas difficile de distinguer la seconde derrière la première, y compris dans sa relation à Carter. Ça, inversement, c'est plutôt bien écrit.
Le dilemme du pop-corneur
HBD2YOU est donc le modèle du film qu’on aimerait aimer, mais ne peut pas vraiment, à moins de faire un gros effort de suspension de sa réflexion pour apprécier ce qu’il a de POSITIF à offrir. Et qui n’est même pas négligeable, c’est ce qui rend la chose encore plus fâcheuse ! De toute évidence, l’auteur de ces lignes est prêt à le faire, compte tenu de sa note, qui a tangué un long moment dans sa tête entre cinq et six étoiles. Une note qui étonnera probablement certains, étant donné le ratio de critiques négatives dans ce texte. Jessica Rothe en Tree fait partie de ces plus-values susceptibles de rendre TRÈS magnanime, un peu comme le combo Rosa Salazar/Alita dans Alita : Battle Angel, sorti la même semaine (mais dans une moindre mesure). Et le choix d'une certaine magnanimité permettra d’apprécier un chaleureux et rafraîchissant spectacle d'imbroglios spatio-temporels et de quiproquos identitaires sans veiller à sa logique interne. Faisant du film ce qu’on appelle un « plaisir coupable » ? Genre, « je sais que ce n’est pas terrible, mais je m’en fous » ? Nah, c’est déprimant, comme façon de penser. Et en même temps… Landon nous laisse-t-il le choix ?
Ce qui est sûr, c’est qu’une condition fondamentale à l’appréciation du film est de ne pas avoir avant tout aimé HBD pour son côté slasher. C’est peut-être pour ça que le film n’a pas cartonné au box-office comme on l’attendait, souffrant d’un mauvais bouche-à-oreille de la part de fans du premier qui se sont demandés ce que le réalisateur avait fumé. HBD2YOU est un peu victime de son ambition de devenir sa PROPRE référence, après un premier opus qui fonctionnait comme un mix de films existants. Seuls des maîtres du marketing pouvaient le promouvoir avec succès : le tout-venant ne pouvait QUE le vendre comme un nouveau slasher fantastique, comme il l'avait fait avec le premier, et par conséquent se planter, la main un peu forcée par son titre débile, plaçant le tueur du film au centre de l’affiche alors qu’il n’est, au mieux, qu’une note de bas de page.
C’était vraiment un pari risqué. Alors, justement, notre premier réflexe est d’apprécier cette prise de risque. Christopher Landon a fait ce que très peu de responsables de suites (censément) commerciales ont fait : avoir les cojones de ne pas donner à son public ce qu’il attendait – encore qu’il est difficile de définir ce qu’on attendait vraiment d’une telle suite. Mais un film, comme un homme, doit être jugé en fonction de ses actes et non de ses intentions (pas vrai, Kant ?). Alors… le troisième volet saura-t-il rectifier le tir, notamment en tirant un trait sur l’aspect slasher sans pour autant laisser la comédie potache tout envahir, trouvant un titre raccord, expliquant certaines incohérences apparentes de la trame de SF (soyons fous), et évitant de sombrer dans l’overdose de mélo avec le couple Tree-Carter ? La tâche s’annonce homérique, pour le réalisateur-scénariste. Mais quoiqu’il arrive, le déplacement en salle devrait valoir le coup.