Je referme (sans m'en être rendu compte) le chapitre Wong Kar-wai en terminant sur la période qui m'aura le plus convaincu et passionné chez lui, le tournant des années 1990 / 2000, fin du XIXe et début du XXe, avec la toile de fond de la rétrocession de Hong Kong à la Chine imbibant de nombreux films hongkongais de cette époque. Happy Together se situe chez moi quelque part entre In the Mood for Love (2000) et Chungking Express (1994) avec lesquels il partage quelques points communs dans la direction artistique, très particulière, et leur rapport au registre de la romance.
Wong a choisi le territoire opposé à Hong Kong sur Terre pour former le cadre de la relation entre les deux personnages interprétés par Leslie Cheung et Tony Leung Chiu-wai, deux exilés temporaires en Argentine. Deux amants qui n'auront de cesse de se donner une deuxième chance, comme nous le rappellent régulièrement les évocations dans les dialogues du type "we could start over" accompagnant les multiples soubresauts de leur relation. Dans une ambiance très singulière, faite de petits boulots dans des bars ou des restaurants, de tango alternant avec du Zappa période Sheik Yerbouti et une reprise des Turtles (donnant son nom au film), et de lassitude mélancolique concentrée dans une petite chambre miteuse de Buenos Aires, les deux ne savent plus comment gérer leurs vies.
Une sensation déstructurée amplifiée par les différents motifs graphiques qui rythment au moins autant la narration, entre séquences en noir & blanc et filtres bleutés, que l'on soit au nord du pays autour des chutes d'Iguazu ou à la pointe sud du continent en Patagonie (à la faveur d'une interaction avec un troisième personnage, joué par l'acteur taïwanais Chang Chen), voire même de retour sur la côte Est asiatique, au détour d'un passage dans les night markets de Taïwan. Wong est probablement l'auteur d'un des plus grands archétypes de l'amour déçu et des atermoiements sentimentaux, et clairement cette façon de filmer l'hésitation pourra paraître ampoulée et très affectée dès lors qu'on n'est pas happé par ce récit fragmenté. Il y a de manière très personnelle des motifs qui resteront, les voix enregistrées, la lampe souvenir, toujours en lien avec un bloc de solitude. Happy Together, à ce titre, est un peu l'illustration d'une séparation qui se reconduit de manière perpétuelle, face à un avenir complètement incertain laissant le champ libre aux regrets. Peut-être que ce que dira le personnage de Tony Leung Chiu-wai n'est pas si faux : "turns out that lonely people are all the same."
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