--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au vingt-sixième épisode de la sixième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :

https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163

Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :

https://www.senscritique.com/liste/The_Invisibles/2413896

Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---

Nous y étions. La deuxième et dernière des épreuves que j'avais imposées à Sirius était prévue pour ce soir. Il avait remporté brillamment la première, celle de rester humain quand la lune l'appelait, il va devoir affronter la deuxième : celle de se changer en loup sans l'aide d'un rayon sélénite. La nuit est d'un noir absolue, et nous nous y enfoncions comme la pointe d'une plume dans une fiole d'encre. La noirceur semblait presque épaisse, et je tenais Sirius par la main pour le guider vers le terrain qui nous servirait d'arène. Sa chair était froide contre la mienne, et elle frissonnait parfois. De froid ou de peur, je ne le lui ai pas demandé. L'endroit me semblait parfait. C'est une petit clairière que j'avais trouvé lors de mes chasses nocturnes solitaires. Quand elle est là, on peut y voir la lune percer au-dessus des arbres, et faire briller une petite mare à quelques pas. Ce soir rien ne brille, quelques étoiles téméraires tentent de scintiller dans ce ciel opaque sans conviction, et la mare est un trou noir prêt à engloutir les noctambules.

Sirius s'est concentré de toutes ses forces. Je me suis moi-même métamorphosée plusieurs fois, lentement, comme pour réapprendre à son corps ce que pourtant il sait faire puissamment quand la lune l'y aide. Il a réussi à sortir ses griffes à deux reprises, et une fois même la pilosité de ses mains s'est faite plus drue, mais rien n'y a fait. Il était impuissant et effondré. Pas moi. Il n'était pas le premier louveteau qui me résistait. Je savais d’expérience que la meilleure chose à faire était de le divertir, de le laisser s’imprégner inconsciemment de cette nuit sans lune, puis de ré-essayer. Il m'a regardé, complètement ébahi, sortir de mon sac à dos des plaids duveteux et un ordinateur portable, et là, avec la brise douce se heurtant à nos polaires et le cri des hiboux recouvrant par moments le son crachotant des enceintes, nous avons regardé le film que j'avais gardé pour ce soir : Harry Potter et l'ordre du Phoenix.

Peut-être le contexte cotonneux et inquiétant aidait-il, peut-être avais-je été tellement déçue par la précédente apparition des personnages de Sirius et de Lupin dans les films que je n'en attendais plus rien, peut-être avais-je trouvé le livre tellement nul que je ne pouvait me résigner à en espérer quoi que ce soit, ou peut-être étais-ce un sentiment juste, que la nuit profonde me laissait voir avec une clairvoyance étourdissante, j'ai été frappée par la puissance de ce film. Tout ce que je reprochais aux précédents opus éclipsé, toutes les bonnes choses des premiers retrouvées, et le reste ré-inventé. A y réfléchir finalement, ce n'est pas si impensable que ça : je reprochais au troisième opus de n'avoir pas su se condenser sous son format film, tant chaque page du livre me semblait indispensable. Ici, on partait sur l'adaptation du pavé le plus volumineux de la collection, comptant au bas mot 600 pages d'un remplissage inutile. Comme dans les premiers films et avec plus de perspicacité encore, l'adaptation de David Yates (qui d'ailleurs, j'en suis heureuse, gardera désormais les commande jusqu'à la fin de la saga) s'applique à réduire, condenser, perfectionner le récit littéraire. Je n'avais pas aimé le livre, qui avait été pénible à lire, et dans lequel je voyais, soir après soir, avec un désespoir croissant, mon marque-page descendre avec une lenteur affligeante. Mortifiée par l'inutilité de la majorité du contenu, je n'avais pas su en voir les quelques intérêts, trop dilués dans le tout. Yates s'appliquait ce soir à re-concentrer le bon, et à éliminer le mauvais. Adieu le flirt incroyablement gênant avec Cho, so long les interminables heures de colle de Harry chez Ombrage (c'est pas parce que Harry est un rebelle que tu dois punir tes lecteurs en même temps que lui J. K.!), bon vent les horribles sessions de Quidditch rendant Ron toujours plus grotesque (là où le film s'applique à lui rendre toute sa dignité en le présentant comme un ami précieux, attentif et empathique. D'ailleurs, ce n'est pas le seul à bénéficier de ce traitement de faveur : les jumeaux Weasley, qui ne faisait plus depuis trois films que des apparitions gaguesques, retrouvent enfin également ce soir leur superbe, avec cette scéne de feux d'artifice absolument grandiose, déjà présente dans le livre, mais mise en exergue par l'adaptation). Le réalisateur s'autorise même quelques rafraîchissantes libertés avec le scénario, pour rendre celui-ci plus visuel ou plus efficace (quand ce n'est pas le récit qui déjà de base qui manquait d'impact visuel : l'accumulation des pancartes d'interdiction dans le hall de l'école, l'auteur a eu beau me le décrire en long en large et en travers, il aura toujours plus d'impact à être montré qu'à être décrit).

A l'image, le peu connu Sławomir Idziak, qui avait déjà été le responsable de l'admirable Trois couleurs : bleu, fait des miracles. Y a pas à dire, les polonais, ils sont sacrément forts en cinématographie. Et tandis que je ponctuais régulièrement le film de « Whoa ! Trop beau ! », j'ai fini par rester sans voix devant la séquence finale, et son ministère de la magie époustouflant en tout point de vue. Certes la présence d'une Helena Bonham Carter peut-être dans le rôle de sa vie m'a fait bondir comme une enfant trouvant le Père Noël au pied de sa cheminée, mais ça ne m'a pas empêchée d'admirer ce décor incroyable, cette lumière virtuose ni, encore une fois, le remaniement scénaristique absolument brillant. Car -attention ça part en spoiler- il faut dire que si j'ai boudé la lecture du livre, je suis allée jusqu'à me mettre dans une colère furieuse en en lisant le dénouement. Cette histoire de portail des morts à deux balles, ça n'y tient pas la route un instant. J'ai passé les cinquante dernières pages à attendre agacée qu'on se rende compte qu'en fait Sirius avait juste été téléporté ailleurs. Il y a une règle d'or, qui marche aussi bien en littérature qu'en cinéma : tant qu'on a pas vu le corps, le personnage n'est pas mort. Ce n'est pas, comme mes amis se sont moqués, que j'ai refusé d'admettre la mort de mon second personnage préféré de la saga, c'est, objectivement, que sa mort est ratée. C'est mal écrit, c'est mal venu, c'est mal tout, on y croit pas, et quand on vient de se farcir 800 pages d'ennui pour qu'au moment où ça devient intéressant elle se rate, il y a de quoi avoir les nerfs. Bref, point de tout ça dans le film. Si l’adaptation atteint ses limites et ne peux se défaire d'une mort arrivant au pire moment (en plein milieu de la bataille de fin, mais enfin qui fait ça, on a pas le temps de pleurer qu'il faut de nouveau dégainer sa baguette magique pour parer un ennemi, inutile face à la perte qu'on vient de subir), celle-ci à au moins le bon goût d'acter le décès à l'instant où il survient. Pour ça, le film se pare d'intelligence et de gros sabots, style curieux mais efficace. D'une part on nous apprends à l'instant où l'AD pénètre dans la salle -ça c'est pour l'aspect intelligence- que le portail au milieu mène vers le monde des morts. C'est fait de manière subtile et imparable, Harry et Luna sont les seuls à entendre les gémissements lugubres qui s'en échappent, récompense apprécié pour le spectateur attentif qui aura retenu du début du film que ces mêmes personnages sont également les seuls à voir les sombrals (les sombraux ? Est-ce qu'on accorde comme pour des chevaux ou bien est-ce qu'ils sont définitivement trop moches pourqu'on leur concède le moindre point commun avec nos gracieux héros du western ?), et que cela s'explique par le fait qu'ils ont vu la mort. Ils ont vu la mort donc ils entendent les morts donc les morts sont derrière le portail. Fait - conséquence - conclusion, c'est clair, c'est habile et ça ajoute la petite dose de lugubre qui manquait à l'introduction de cette pièce, encore une fois je ne peux que déplorer que les scénaristes aient de meilleures idées que J.K. Rowling. Mais, pour les cancres du fond de la classe qui n'auront pas suivi le film avec assez d'assiduité pour percevoir cette notion subtile qui change tout, point d'inquiétude -c'est la partie gros sabots-. Puisqu'il faut à tout pris faire passer l'information de la mort du parrain, du père presque retrouvé, et qu'il faut du pathos, et qu'il faut que ça pleure dans les chaumières, le film ne se gardant d'aucun doute, et tant pis si il faut déployer les grands moyens, la musique triste, le petit ralenti qui va bien, les gros plans sur des visages glacés d'effroi, on ne lésine pas sur les moyens pour faire passer l'information : SIRIUS EST MORT. C'est expéditif parce que la bataille doit continuer, mais au moins c'est clair. Ce qui me fait un peu moins désespérer quant au sixième volet : si seulement la mort de Dumbledore pouvait être un peu moins ridicule que dans le livre, ce serait déjà ça de prit.

Je n'avais pas choisi ce film par hasard. Sirius, puisque mon drôle avait voulu garder le surnom que je lui avais donné quand il était encore pour moi l'homme invisible, redoutait beaucoup également le jour où nous visionnerons l'épisode de la mort de son éponyme ensemble. Au vu des flots de colère que je lui avait débiné en refermant la quatrième de couverture, il y a de ça quelques mois, vis-à-vis de la mort de Sirius -le personnage-, Sirius -mon loup- était sérieusement inquiet de l'état dans lequel allait me mettre le film. Quant à moi, je me disais que quoi qu'il arrive, voir l'autre Sirius, c'est à dire celui auquel il s'assimilait avant d'apprendre à apaiser le dédoublement de personnalité que provoque une infection à la lycanthropie, mourir, en image et en son, comme ça sur un écran, au milieu de la nuit et au cœur de la forêt, peu importait ma réaction, quelque chose allait se briser, ou se créer en lui. Cette créature imprévisible qu'était ce personnage, cet humain qui vivait comme un loup-garou, furieusement et sauvagement, n'était plus. C'était une réalité dont j'avais pris conscience depuis longtemps déjà, mais dont il doutait encore. Là, dans cette nuit qui invisibilisait le reste du monde, j'ai regardé « la beauté de son visage éclairée par un écran », comme dit Audiard, et j'ai laissé couler, de mon regard vers le sien, toute la confiance que j'avais en lui, ma certitude inébranlable qu'il était capable de tout, et que le louveteau terrifié que j'avais commencé à traquer il y a tout juste un an n'était plus. J'ai laissé mes iris virer au jaune, et les siens m'ont suivi. J'ai laissé mes crocs s'allonger et les siens ont fait de même. Tour à tour, étape après étape, j'ai laissé apparaître le loup, et Sirius, puisant de la force dans chaque étape remportée, m'a suivie. Transformé, il est un grand loup gris piqueté de noir, haut et élancé, comme son humain. Bien plus beau et bien plus fort que celui que nous avons perdu ce soir.

Zalya
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le 6 nov. 2022

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