Ça y est, on y arrive enfin. Le point culminant de la saga, le film presque unanimement reconnu comme le meilleur des 8. Il faut dire que la Warner n’a pas fait les choses à moitié en engageant, en lieu et place de l’honnête faiseur qu’est Chris Columbus, un cinéaste mexicain alors relativement peu connu du grand public : Alfonso Cuaron. L’homme a déjà une petite carrière quand il s’installe à la réalisation du 3e volet de la saga Harry Potter, auteur notamment du formidable Y Tu Mama Tambien. Mais c’est véritablement son travail sur Le Prisonnier d’Azkaban qui lui ouvrira les portes du grand public et lui permettra de réaliser ses deux œuvres suivantes, nettement plus ambitieuses : Les Fils de l’Homme et Gravity. Toutefois, Cuaron est loin d’avoir pris son travail sur la saga comme une simple commande, il y a véritablement apposé sa vision et ça se voit.
Chaque instant du film est habité par une volonté d’auteur, la caméra de Cuaron est immédiatement reconnaissable. Le réalisateur travaille sur le mouvement, la profondeur et la composition dans le champ, préférant souvent des plans très longs à un découpage standard : on reconnaît instantanément l’homme qui se fera plus tard connaître pour ses plans-séquences impressionnants. Dans Le Prisonnier d’Azkaban, il ne recherche pas forcément la virtuosité, mais tente plutôt de délivrer au mieux sa propre vision de l’univers de Rowling. S’adjoignant les services de Michael Seresin à la photographie, le réalisateur retravaille les couleurs du monde des sorciers, rendant l’image à la fois moins colorée, et étonnamment plus riche. Cuaron ne s’est pas arrêté là, puisqu’il est allé jusqu’à remodeler entièrement la direction artistique de la saga, intégrant toute une série de touches plus ou moins importantes, contribuant à redéfinir l’univers, des têtes réduites ornant le Magicobus, à l’intrusion occasionnelle de musique jazz, en passant par les plans de transition sur le saule cogneur, illustrant le passage des saisons. Cuaron va jusqu’à modifier la géographie du château et transformer la clairière ornant la cabane de Hagrid en un relief aux allures de lande, orné de dolmens. La cohérence de la saga en prend un coup, le réalisateur délaissant l’approche émerveillée et assez universelle de son prédécesseur, pour quelque chose de plus intime, moins magique, mais infiniment plus intrigant. Il y a plus de dix ans, lors de la sortie du film, ces choix m’avaient dérangé. J’étais sans doute trop conditionné à la fois par les films de Columbus et mon attachement à la fidélité aux livres, il m’aura fallu du temps pour comprendre tout l’impact du parti pris de Cuaron, définitivement le plus intéressant de la saga.
L’intimité qu’il développe colle justement à merveille avec le ton que prend l’histoire lors de ce troisième film. Là où le deuxième mettait plutôt l’accent sur son côté spectaculaire, ici on se concentre davantage sur les personnages. En particulier Harry, qui se retrouve à la fois confronté à l’image des parents qu’il ne connaîtra jamais, et à celle de celui qu’il croit être leur meurtrier. Cuaron traite avec justesse les tourments du jeune sorcier, et son passage progressif à l’adolescence. J’apprécie particulièrement les conversations avec Lupin, figure paternelle bienveillante incarnée à merveille par David Thewlis. Le trio des Maraudeurs est complété par Gary Oldman et Timithy Spall, encore une belle preuve de la qualité du casting adulte de la saga. En revanche, j’émets toujours de grosses réserves sur l’interprétation de Michael Gambon, remplaçant Richard Harris dans le rôle de Dumbledore. Gambon est un excellent acteur, mais colle assez mal au rôle du professeur, il lui manque ce côté bienveillant et malicieux qui caractérisait la performance de Harris. On peut regretter que les caractères de Ron et Hermione soient plus survolés, même si l’amitié qui lie le trio reste l’un des ciments de l’histoire. A noter que le trio principal me semble mieux dirigé que sous Columbus, tout sonne juste la plupart du temps.
Une approche résolument moins grand spectacle donc, qui n’empêche pas le réalisateur mexicain de s’amuser avec ce que le livre de Rowling lui offre. En témoignent les quelques apparitions des Détraqueurs, glaçantes au propre comme au figuré, et faisant rêver sur le potentiel qu’aurait Cuaron au sein d’un film d’épouvante. Ou encore tout le segment final et sa remontée dans le temps, astucieusement montée et mise en scène. Un mot également sur la partition de John Williams, qui officie pour la dernière fois sur la saga. Le compositeur change ici son approche, abandonne la plupart de ses thèmes (à l’exception du principal, entendu à quelques reprises seulement) et travaille sur des instrumentations différentes, utilisant le carillon, le clavecin ou encore la flûte. Le tout créant une atmosphère moins grandiose, plus subtile que celle des précédents films, collant à merveille avec l’univers que crée Cuaron.
Qu’est-ce que l’arrivée d’un vrai auteur aura fait du bien à la saga. L’univers n’aura jamais eu autant de personnalité, la forme autant de maîtrise, ou les personnages un traitement aussi juste. Il est d’autant plus regrettable que Cuaron ne soit resté que le temps d’un film, j’aurais notamment adoré voir son traitement du Prince de Sang-Mêlé par exemple. Les canons établis par le réalisateur mexicain serviront d’inspiration à ses successeurs, mais jamais ils ne sauront atteindre sa grâce. Voilà, le pic de la saga est enfin passé, restent encore le volet plutôt sympathique de Newell et ceux, nettement plus problématiques, de Yates.