Le scalp du chasseur de têtes
Jo Nesbo est grand.
Jo Nesbo est le plus grand représentant du roman noir scandinave, pourtant bien représenté, au-delà même d’Indridasson, de Mankell ou Stieg Larsson (ce n’est que mon avis …) Peut-être le plus grand auteur vivant de polars et de thrillers.
Jo Nesbo a un parcours pour le moins singulier. Fondateur de Di Derre, le groupe rock (pop folk en fait) le plus célèbre de Norvège, auteur, compositeur, guitariste, chanteur – avant d’atomiser le thriller moderne. Il est le créateur du célèbre Harry Hole, enquêteur récurrent, alcoolisé, désabusé, brutal, mais aussi plein d’empathie (son grand point faible), héros d’une série magistrale de romans qui ont su retenir le meilleur du polar classique et du thriller – en y ajoutant une réflexion, implacable et lucide, sur l’univers dans lequel ces histoires se déroulent. Pas seulement la Norvège, mais d’autres lieux parfois très éloignés, l’Australie dans l’extraordinaire Homme chauve-souris …
Parler de Nesbo, hors le fait qu’il le vaut bien, permet de ne pas trop en dire sur Head hunters. Car c’est vraiment le type de récit qu’il convient, absolument, de ne pas spoiler.
Alors ? Headhunters, que je n’ai pas lu, est un thriller sans Harry Hole (le seul roman de Nesbo sans son héros emblématique traduit en français) ; Sans doute une récréation dans son œuvre, bien plus court, bien plus léger en thème de réflexion sociale.
Mais il reste l’essentiel de la manière Nesbo.
Et ça décoiffe.
Un prologue court et intrigant. Ici, sur l’art de cambrioler des œuvres d’art.
Une première partie très posée, avec un minimum d’action – mais où tous les détails comptent et imposent la plus grande vigilance.
Puis une accélération terrifiante. Incontrôlable. Où les personnages vont se trouver malaxés, décortiqués, déchiquetés, quasiment sans pause. Surtout les héros, vaguement épargnés provisoirement, pas par compassion, mais plutôt par souci d’en ajouter une couche. En rouge.
Et enfin des contrepieds constants, des twists, des retournements, des coups de théâtre qui s’annulent. On croit avoir deviné, mais Jo Nesbo est toujours plus malin que son spectateur.
On croisera, le chasseur de têtes (au sens premier, le recruteur sans pitié) croisera, entre autres, un dogue de combat et un camion de plus de 50 tonnes, sacrifiera au bain de mer (ou de rivière) et au bain de merde … Mais stop. Et son scalp (dans tous les sens du terme) sera vraiment en jeu.
Le récit est porté par des comédiens excellents. Nikolas Coster-Waldau, échappé de Game of thrones, en Terminator, ou en Chighur façon Coen Bros (avec d’ailleurs une technique semblable pour mener sa traque), et plus encore Aksel Hennie, clone de Christopher Walken en modèle réduit, dans le rôle du chasseur chassé (mais pas sans chien …)
Une récréation donc : la portée sociale est sans doute légère (une réflexion très sommaire sur le bonheur et l’argent …), le final est sans doute escamoté et peu crédible, les invraisemblances ne manquent pas - mais chez Jo Nesbo tout reste marqué du sceau d’une logique imparable.
Et il propose un thriller inédit. Bluffant. Terrifiant. A couper le souffle. Avec un metteur en scène, Morten Tyldum, qui a su, parfaitement s’adapter à sa manière et à ses codes (Nesbo assurant lui-même au scénario).
Il ne reste plus qu’à s’asseoir confortablement dans un fauteuil, whisky à proximité, Jim Beam le pote de Harry Hole, avant de se laisser emporter dans le grand huit.
En attendant. Car on annonce, de façon quasi officielle, l’adaptation prochaine du Bonhomme de neige, chef d’œuvre horrifique (entre autres) de Nesbo, avec Harry Hole : la réalisation, d’abord proposée à Scorsese (qui en assurerait la production) serait confiée à Tomas Alfredson.
A ne rater sous aucun prétexte.
En attendant, il ya tous les tomes de la saga Harry Hole, de l’Homme chauve souris à Fantôme, à lire et à relire, si possible dans l’ordre (à cause des échos, de récit en récit). Cela en vaut vraiment la peine.