Je n'aime pas faire mon rabat-joie. C'est un trait que j'avais critiqué chez ceux qui ralaient sur "Happiness Therapy", qui débordait de bons sentiments mais pourtant sonnait juste. Mais là je me sens obligé.
Nous sommes donc face à un soi-disant psychiatre, qui a la lumineuse idée de faire un tour du monde "à la recherche du bonheur". En fait non, à la recherche de son bonheur. C'est justement la nuance qui m'horripile. Faire un tour du monde pour se retrouver doit être entreprit comme une épreuve intérieure, non généralisable. Thoreau trouverait ça complètement vain et symptomatique d'un peuple en perdition, au passage. Hector semble cependant adopter une démarche qu'il veut scientifique. C'est complètement absurde. Comme si "la théorie du bonheur" se résumait au cas particulier d'un gus post-colonial qui trompe sa femme. Ce n'est pas une démarche scientifique qu'Hector entreprend, c'est une démarche personnelle.
Je vois bien la raison d'une telle démarche. Hector n'a pas d'idée, pas d'opinion, peu de volonté. Il cherche donc des idées de bonheur chez ceux qui en éprouvent et qui en ont identifié la cause. J'aurais donc aimé que le film représente ceci honnêtement plutôt que de faire croire à une quelconque démarche scientifique.
Ceci étant dit, je ne peux m'empêcher de voir ça comme une critique des livres de développement personnel. Ces livres-là dégoulinent des rayons de librairie, les encombrent. Certains sont écrits à des fins respectables, mais beaucoup le sont par pur charlatanisme. On les achète, pensant qu'ils nous aideront à surmonter les obstacles de la vie ou à nous découvrir nous-même. Ils le font pour certains, certes. Mais quelle facilité, quel prémachage ... La philosophie de vie est élevée à des fins de consommation. Tandis que dans les écoles philosophiques antiques (voire orientales), elle était construite avec rigueur et dévotion. Lire une citation sortie de son contexte, lire un quelconque bouquin de développement personnel, partir à la recherche du bonheur naïvement, c'est la clé d'une philosophie de vie jetable et court-termiste. En contraste, on trouve en librairie des oeuvres intemporelles et sublimes de philosophes antiques ou orientaux (Marc Aurèle, Epictète, Sénèque, Confucius, ...) qui sont précurseurs de ces livres de développement personnel mais qui en même temps font preuve d'une honnêteté et d'une rigueur à l'épreuve du temps.
Je n'ai rien contre l'idée même d'un tour du monde. Si exécuté sincèrement, en immersion totale et dans le respect des cultures locales, il est sans doute une expérience inestimable. Mais Hector ne respecte rien, passe dans les lieux et les dégrade, note dans son carnet les paroles des gens mais ne s'en imprègne pas. Il n'est pas ethnologue ou psychiatre, il est touriste auto-centré à la recherche de sensations et de citations. Le tourisme colonial "tintinesque" dans toute sa gloire.
Il y a une chose cependant que je respecte dans ce film, c'est de mettre en valeur le droit que chacun a d'être heureux. A un moment clé du film, Hector s'emporte et insulte une de ses patientes. Quel droit as-tu de te plaindre, dit-il, toi qui vit confortablement tandis que d'autres meurent de faim dans le monde ? Il y a un certaine responsabilité du bonheur. Sommes-nous dignes d'être heureux quand d'autres ne le sont pas ? Bien sûr, et on l'oublie trop facilement. Le bonheur est l'affaire de chacun à sa mesure. Alors si Hector le trouve dans le tourisme colonial et l'adultère, bien lui en fasse. Mais son cas particulier n'est pas vraiment réexploitable. Et je trouve au passage ce personnage totalement antipathique.
S'il y a donc une chose que je retiens de ce film, c'est qu'il faudrait arrêter à un moment de regarder ce genre de trucs, de chercher des réponses toutes faites à des questions intimes, d'emprunter de vaines citations et de s'auto-convaincre que telle activité (comme un tour du monde) répondra à ses questions existentielles. J'ai passé des tests de personnalité à la pelle. J'en fabrique moi-même dans mes activités de recherche. Je pense être au fait de la recherche en psychologie du bonheur, et y contribue académiquement. Mais au final tout ce savoir que je possède sur la question ne me renseigne nullement sur mon propre bonheur. La recherche du bonheur est individuelle et permanente.