John Cameron Mitchell est un artiste américain fascinant. À la fois acteur, réalisateur, écrivain et metteur en scène, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une figure multidisciplinaire talentueuse. Il écrit la pièce Hedwig and the Angry Inch en 1998 qu'il adaptera lui-même ensuite pour le grand écran en 2001 en interprétant le rôle principal. Ce fut un grand succès critique et public à l'époque, influençant un grand nombre d'artistes par la suite et gagnant le grand prix du festival de Deauville l'année de sa sortie.
Sans entrer dans les détails le récit Hedwig and the Anry Inch (que nous appellerons simplement ici Hedwig) nous parle de la vie d'une chanteuse transexuelle allemande. À la base homme, le personnage est un fan de musique rock. Il doit fuir le bloc est-allemand et fait une opération dans le but de changer de sexe qui échoue, laissant ses organes génitaux en piteux état. Hedwig se retrouve alors seule en proie à l'errance et en recherche d'identité aux États-Unis. Il (devenu elle) fera la connaissance du jeune Tommy interprété par le génial Michael Pit (Last Days, Funny Games U.S.). Le jeune homme volera les chansons des Hedwig et se produira ensuite sous le nom de "Tommy Genesis" tout en accédant ainsi au succès. Cela poussera le personnage de John Cameron Mitchell à cette errance et a sillonner les bars et petites salles avec son groupe de musique "The Angry Inch".
Le cinéaste et acteur principal nous offre dans ce premier film un univers très personnel et unique en son genre. Le monde et les personnages présentés sont à la fois drôles, kitsch, irrévérencieux et fondamentalement tristes. John Cameron Mitchell fait preuve d'une infinie tendresse envers son personnage et le retransmet parfaitement à l'écran. Le spectateur ne peut que se sentir proche d'Hedwig tant la narration, le jeu d'acteur et la réalisation mettent en place une caractérisation le rendant proche de nous malgré ses chemins de vie insolites.
Le personnage est à associer à des figures de stars comme Freddy Mercury, Mick Jagger, David Bowie. Comme eux, Hedwig est un être à part, contre nature, incarnant pleinement sa ses morceaux et son univers musical en provoquant une puissante fascination pour sa personne (autant pour les personnages du film que pour nous, spectateurs). Le long-métrage se pose à la fois comme un hommage à la musique rock et à ses musiciens hors-normes. Mais également à tous ces personnages incompris et au parcours difficile que la vie nous amène parfois à croiser. À mon sens, le film réussi à s'imposer dans le milieu du "rock movies" où d'habitude, le scénario est fortement mis en avant (là où en général il est délaissé au profit de la musique elle-même). Derrière son ambiance pouvant se baser uniquement sur le visuel et la folie ambiante à la façon d'un The Rocky Horror Picture Show, le personnage d'Hedwig nous expose sa vie et ses décalages multiples avec la réalité. Il nous entraîne à travers ses morceaux racontant son histoire et sa vie. Le visuel reste d'ailleurs l'une des grandes forces du film, se fusionnant parfaitement avec son aspect déjanté. La réalisation est selon moi impeccable mais peut sembler posséder un résultat quelque peu amateur par moment, cela ne fait en fait que mettre en image les aspects hybrides du projet et fonctionne finalement parfaitement.
Concernant l'aspect musical, que l'on aime ou non visionner des concerts live en vidéo, il est indéniable ici que Mitchell, par la mise en scène et son personnage principal canalise le regard du spectateur sans jamais le perdre une seule seconde. Les compositions impeccables signées Stephen Trask nous emportent et vous colleront encore à la peau longtemps après le visionnage du long-métrage. Il ne serait d'ailleurs pas étonnant de vouloir se procurer la bande originale à tout pris sous support physique tant celle-ci est puissante et vous rappellera sans aucun doute certains des meilleurs albums de Bowie. Le film est à mon sens un chef-d'oeuvre mais il ne fait pour moi aucun doute que cette bande originale l'est tout autant, probablement l'un de mes disques préférés à vrai dire. Le métrage et nous-mêmes sommes transcendés par ces morceaux d'une toute grande qualité.
John Cameron Mitchell, en grand artiste qu'il est mais pourtant réalisateur débutant à l'époque (je rappelle qu'il s'agit de son premier film), aura également réussi à conserver l'aspect théâtral de sa pièce d'origine. Hedwig est attachant comme je l'ai dit plus tôt, le personnage est d'une justesse et d'une sincérité poignante dans sa philosophie et sa façon d'être. Son évolution au sein du métrage est passionnante à suivre et finalement le défaut du film est qu'il soit court. Le film pourrait à tout moment tomber dans les clichés et finalement souffrir de nombreux défauts à la manière d'un Velvet Goldmine de Todd Haynes sorti trois ans plus tôt mais il n'en est rien.
Le cinéaste réussit un brillant premier film pouvant à mon sens être qualifié de chef d'oeuvre de cinéma du genre rock movie. Il est difficile de définir ce film à quelqu'un ne l'ayant pas vu aussi je vous encourage grandement à découvrir cette oeuvre qui vous hantera probablement longtemps après son visionnage. Aujourd'hui la pièce et le long-métrage ont influencé nombre d'artistes comme dit précédemment ; parfois vainement il faut l'admettre avec la très moyenne série Sex Education ou pire Riverdale mais il reste le club de fan. C'est un peu le problème avec ce genre de produit, certains en font uniquement un objet de culte sans en comprendre les fondements et se échouent (un peu comme l'imagerie faite autour de The Rocky Horror Picture Show aujourd'hui). Cependant l'univers d'Hedwig a connu un rebond formidable avec la comédie musicale continuant de tourner ou le film projeté en tant que "Midnight Movie". John Cameron Mitchell nous livre un chef d'oeuvre que tout amateur de cinéma ou de musique rock se doit d'avoir vu au moins une fois dans sa vie, une oeuvre culte.