Heli est un jeune père de famille qui travaille en usine, dans un coin paumé et aride du Mexique. Dans sa petite maison, il vit avec sa jeune sœur, son père, sa femme et son petit bébé. L’environnement est sec, presque vide de toute humanité, abandonné par les politiques de ce pays, qui ne soucient guère de ce petit peuple confronté à une misère sociale dégradante. Les seuls moments où les sommets de l’Etat viennent mettre les pieds dans cette cambrousse déserte, c’est pour se donner bonne conscience malgré leur corruption à peine cachée et pour faire l’apologie de leur combat contre la drogue qui détruit l’économie et la sécurité de leur pays.
Heli vit presque dans une zone de non droit où la police est impuissante face aux meurtres ou face aux innombrables enlèvements et représailles de narcotrafiquants dont la violence n’a plus aucune limite comme en témoigne cette scène de torture malaisante. La réelle force de cette œuvre, nouveau film d’un cinéma mexicain de plus en plus vindicatif à l’image de ses compères Carlos Reygadas et Michel Franco, ce n’est pas sa capacité à choquer, mais c’est bel et bien sa faculté à ne jamais tomber dans le misérabilisme putride. Heli n’est pas un film sur la violence en elle-même mais est une œuvre qui traite de la vie qui doit cohabiter avec ce sentiment de peur où la mort frappe à chaque instant.
Le plus effrayant dans Heli, c’est la distance avec laquelle Escalante fait résonner toute la cruauté de cette histoire, comme si cette violence n’était qu’un sentiment devenu familier ou quotidien dans les mœurs (les enfants qui regardent un homme torturé avec le plus grand détachement, le traitement de la vengeance personnelle) ou dans la culture populaire (les journaux télévisés pullulent de faits divers).
La première scène du film, séquence de pendaison en pleine ville, est symptomatique de la férocité malveillante du rapport de force qui s’insère dans ses contrées isolées. Avec une mise en scène ultra cadrée offrant un écrin visuel magistral, comblé de nombreux plans séquences opaques, Escalante arrive à faire parler les paysages où l’immensité des lieux s’oppose à l’absence d’avenir radieux pour une jeunesse éteinte psychologiquement parlant. Dans ce monde chaotique, il reste l’amour et le sexe comme seule possibilité d’échappatoire, notamment à travers ce personnage désenchanté et dramatiquement lumineux de la petite sœur d’Heli. A peine douze ans, et Estela est amoureuse de Beto, jeune militaire qui s’entraine pour les forces spéciales.
Malgré son jeune âge, elle dégage une maturité attendrissante, on sent qu’elle doit porter le fardeau des responsabilités adultes sur ses frêles épaules. Ce petit couple, réellement amoureux, hypnotise durant la première partie du film grâce à son écriture minimaliste mais terriblement absurde. Malheureusement Beto, pour assurer leur avenir, commettra une erreur qui leur sera fatale, et à partir de ce moment « ils vont connaitre l’enfer » comme leur dira l’un de leurs ravisseurs.
Si Escalante sait se faire cinglant d’un point de vue explicite, il apprend à être tétanisant dans les non-dits. Que ça par soit l’imagerie presque nihiliste d’une jeunesse esseulée, avec un humour noir sagement dosé, d’une institution politique à la renverse, par un style volontairement agressif, Escalante offre une œuvre sans compromis, au rythme lent et presque silencieux, entre Haneke et Larry Clark, à l’aura crépusculaire bouleversante avec un majestueux plan final innocent de jouissance dans un monde de terreur.