Il s’appelle Heli, un peu comme hell, comme l’enfer qui va s’abattre sur lui et sa famille. "Je vous garantis que vous allez connaître l’enfer", lui dit d’ailleurs un des flics ripoux qui l’a embarqué dans son gros SUV noir, à sa sœur de treize ans aussi et à son petit ami de dix-sept ans qui joue les durs et qui veut se marier avec elle et qui est à l’origine du déchaînement d’atrocités qui va advenir. Chronique ordinaire de la violence ordinaire, celle des cartels de la drogue au Mexique qui gangrène chaque particule de la société (Heli, d'abord victime, s’y engouffrera à son tour), Heli offre l’âpre constat d’un pays à la cruauté sans limites, corrompu et exsangue (pauvreté, emplois précaires, misère sexuelle…), supplicié comme ces gens que l’on pend à des ponts, le froc baissé et la langue bouffie.
Coproduit par Carlos Reygadas (pour situer dans quelle catégorie s’inscrit le film d’Amat Escalante), Heli est l’archétype type de ce genre de cinéma d’auteur radical et démonstratif devenu désormais une caricature en soi que l’on a déjà vu, que l’on a déjà subi des centaines de fois (Kinatay, Después de Lucia, Youth, Leçons d’harmonie…), et qui ne veut plus rien dire à force de formatage esthétique (plans fixes, étirement des scènes, pas de musique, dialogues rares, cadre ultra-composé…). Un cinéma devenu artificiel et ennuyeux avec un regard qui se veut distancié avant tout, mais affichant au contraire une sorte de condescendance intellectuelle sur ce qu’il est censé dénoncer (car oui, c’est un cinéma qui dénonce, toujours).
Et quand arrive la fameuse scène de torture, cette scène choc qui fit sensation à Cannes, on en vient à la regarder sans affect, détaché parce que las, excédé de cette mise en scène qui désincarne tout. Pourtant il y a des coups de planches en bois assénés, il y a des testicules et un pénis que l’on crame, et pour bien appuyer l’horreur indifférente de la chose, on fait ça dans le salon avec des mômes qui regardent sans vraiment s’en soucier ou même s’en émouvoir (comme le spectateur) pendant que la mère, elle, prépare à manger dans la pièce à-côté. C’est plus parlant évidemment, ça dénonce (encore), ça accuse (et encore), ça constate de cette banalisation de la violence au quotidien. Sauf que l’intention est flagrante, et le dispositif grossier. La séquence en devient quasi risible malgré sa brutalité, à l’image d’Heli finalement, film tout sec et tout prétentieux.