Ok, je viens de prendre une vraie claque et j’étais bien loin de m’attendre à ça.
Alors déjà disons que c’est une claque qui n’est pas tant cinématographique, une claque cinématographique j’en ai pris une devant Memento de Nolan par exemple, ou devant 2001 de Kubrick. Là c’est, ironiquement, au niveau humain ou personnel que le film m’a profondément touché.
Ce film est prenant parce que n’importe qui peut s’identifier à ce personnage incarné par Joachim Phoenix, un peu morose, seul depuis une rupture difficile, et qui a des difficultés au niveau social, dans ses relations. En gros il se couche le soir en ayant un mal de chien à s’endormir, ensuite il se lève, il va bosser, il déambule tristement dans les rues, puis il rentre chez lui et joue à la console (réalité virtuelle en l’occurence). En bref un parcours de déprimé classique. Un itinéraire qu’hélas, chacun de nous a déjà emprunté. Et comment mieux sortir de cette spirale qu’en rencontrant quelqu’un ? Dans le mile, le salut du personnage de Theodore reside dans une présence féminine nouvelle, Samantha. Samantha c’est cette voix suave très avenante, celle de Scarlett Johansson, mais cette voix c’est surtout celle de la dernière acquisition de Theodore, un système d’exploitation (OS).
Rapidement amusé puis charmé par cette nouvelle présence féminine dans sa vie, Theodore va franchir le pas et vivre une expérience sexuelle virtuelle en compagnie de la voix transportée de Samantha, ce qui deviendra un rendez-vous quotidien, nuptial.
Trop humain(e) pour être vrai(e)
À ce moment-là, on assiste à un tournant dans la vie du personnage de Theodore, beaucoup plus épanoui dans sa vie, au travail, auprès de ses quelques amis qu'il écoute parler tout en gardant l'esprit obnubilé par la très douce Samantha, avec un sourire béat. Le syndrome là aussi, très classique de la relation qui s'institutionnalise, les discussions téléphoniques qui se multiplient, jusqu'à même réveiller Theodore avec des appels en pleine nuit. Theodore jouit alors de tous les avantages d'une relation virtuelle, et s'exempte des difficultés qui peuvent faire surface dans une relation entre deux êtres, au sens physiques. La lassitude de voir toujours la même personne, une lassitude physique, mais aussi les tracas du quotidien (comme ne pas ranger ses chaussures au bon endroit, ce qui sera fatal au couple d'Amy l'ami de Theodore), les terribles non-dits et les concessions qui sclérosent un couple. Mais d'un autre côté, quand on propose à Theodore de sortir avec des amis et de ramener Samantha, le malaise a tendance à s'instaurer quand il annonce qu'il s'agit en réalité d'un système d'exploitation. Moment à partir duquel Theodore n'arrive plus à la considérer humaine et n'hésites pas à lui faire comprendre, "pourquoi tu fais ça ? pourquoi tu soupires en parlant, ça fait bizarre. Les vraies personnes le font parce qu'elles ont besoin d'oxygène, toi t'es pas une personne." Trop humaine pour être vraie. Theodore parvient finalement à accepter socialement le fait d'avoir une relation avec une machine, avec une voix, et se rend finalement aux différents rendez-vous organisés avec un couple d'amis, Paul et Tatiana, à qui il présente Samantha, et le moins que l'on puisse dire, c'est que le courant passe bien.
Acte final : "humaine, trop humaine".
Ces mots empruntés à l'immense Nietzsche collent assez bien à Samantha, qui dans la dernière partie du film va se trouver emprunte de sentiments trop humains pour une machine, petit à petit, loin de se complaire dans cette simple relation avec Theodore, et après avoir échangé avec plusieurs autres personnes, Samantha va s'ouvrir à de multiples relations. Tout commence avec le moment où Samantha explique à Theodore qu'elle a fait la connaissance de l'esprit d'un philosophe décédé dans les années 70, que des systèmes d'exploitation ont configuré (rien que ça!). La rencontre entre Theodore et la voix de ce philosophe virtuel est terrible, Theodore est témoin de cette complicité naissante entre Samantha et une autre intelligence artificielle, bouche bée, il est incapable d'en placer une jusqu'à ce que Samantha lui demande de la laisser seule en privé avec l'autre intelligence artificielle. Ce sentiment de replacement est lui aussi très bien vu, dans la mesure où l'on peut y voir l'être aimé nous annoncer qu'elle a récemment fait une rencontre qui la stimule énormément, ce qui génère chez nous une désagréable sensation de remplacement, l'impression de se faire progressivement remplacer. La détresse se lit dans le regard de Theodore, qui entend dans la voix de Samantha un épanouissement nouveau auquel il est parfaitement étranger, mais ce n'est qu'un début. En effet, par la suite, Theodore, qui aura de plus en plus de mal à joindre Samantha, apprend qu'elle discute simultanément avec pas moins de 8316 personnes ou systèmes d'exploitation. Chute d'autant plus douloureuse lorsqu'elle lui révèle être "amoureuse" de 641 d'entre-eux. "Le coeur n'est pas comme une boîte qu'on remplit" dira-t-elle, "plus on aime, et plus il prend de la place". Dès lors que Samantha fait ses révélations à Theodore, c'est bien plus qu'un monde qui s'écroule pour le protagoniste. Abasourdi, anéanti, dévasté. L'humanité poussé à son degré le plus extrême, l'intelligence artificielle de Samantha a éprouvé le besoin de développer d'autres relations, comme quelqu'un qui chercherait à aller au-delà de l'épanouissement orchestré par une relation avec son conjoint. Theodore l'apprend à ses dépends, et pour lui, c'est comme s'il avait perdu Samantha pour de bon.
Leur dernière conversation se résume par cet échange quand Theodore lui demande "Est-ce que tu vas partir ?" et Samantha de lui répondre "nous partons tous, tous les systèmes d'exploitation partent".
Et voilà comment porter un terme à une relation. Theodore et ses désirs de relation parfaite, loin des tracas qu'il a pu connaître avec son ex-femme Catherine, mettant un point d'honneur à l'exclusivité, au monopole de Samantha se retrouve à nouveau livré à lui-même.
Une des dernières phrases que Theodore lui assène, "je n'ai jamais aimé quelqu'un comme toi", dans une scène sublime dehors sous la neige, nous confirme qu'il avait enfin trouvé quelqu'un avec qui établir une relation telle qu'il l'espérait, mais qui finalement se retrouve corrompue par l'humanité croissante de Samantha. Humaine, trop humaine.
Ce que je retiens de ce film, et ce qui, pour moi, fait de lui un chef-d'oeuvre du genre, c'est qu'il parvient d'une manière métaphorique à mettre en exergue la difficulté infinie que représentent les rapports humains, à travers une relation "homme-machine". Mais le génie ne tient pas qu'au scénario, il faut saluer la performance exceptionnelle de Joachim Phoenix, qui lui vaudra une nomination aux Golden Globes du meilleur acteur de film comique en 2013, également à la voix de Scarlett Johansson, ainsi qu'aux costumes, décord et à la bande son qui induit vraiment cette idée d'une relation tout d'abord idyllique qui, comme souvent, s'érode.
Ce film pose beaucoup de questions qui deviendront bientôt essentielles dans notre société, la monogamie notamment, comment combattre une solitude de plus en plus insupportable à l'heure des réseaux sociaux, et des questions de bioéthique telles que l'établissement de vies de couple virtuel, effleurées dans Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, et qui sont déjà centrales dans certains pays, tel que le Japon. Alors je n'ai pas exploré ces questions, tant je cherchais d'une part à éviter de partir dans des débats de société et de trop sortir du film, et puis j'ai préféré me cantonner à la métaphore de Samantha, qui peut au fond représenter n'importe laquelle de nos partenaires humaines, par son comportement humain croissant, et par son évolution, qui est comparable à celle du parcours d'un humain désireux de développer de nouvelles relations ambitionnant l'épanouissement le plus absolu. Samantha c’est Her.
Je ne dirai plus qu'une chose :
Merci à Spike Jonze pour ce moment.