Eternal Sunshine of the OS Mind
La comparaison qui va suivre est très subjective. Mais les univers de Michel Gondry et Spike Jonze me semblent très liés. "Dans la peau de John Malkovich" ressortait grandement des premiers films du français, avec le même bricolage de la fantaisie et de la rêverie. Des décors kitsch et improbables dans des histoires loufoques mais justes et poétiques. "Human Nature" mettait autant à propos la folie que peut atteindre le comportement humain. En revanche, "La Science des Rêves" répondait plus à la mise en accordéon des limites du cadre, notamment dans son étage 7½. "Her" est peut-être la fusion ultime de ces deux univers, la réponse du maître qui s'inspire désormais de l'élève.
En racontant une relation confrontée à l'anomalie au sein d'un monde nouveau, Spike Jonze signe une œuvre très proche du grandiose Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Et ce dès les premiers instants qui dévoilent le métiers de Théodore. Écrivain de mots doux pour la société bellelettremanuscrite.com, si cela n'est pas du Gondry dans le texte...
Mais cessons là la comparaison. Car comme se demandent, à juste titre, beaucoup de critiques; «Une fois qu'on a décelé ses inspirations, qu'est-ce qu'on à dit du film ?! »
De celui-ci, deux éléments sont ressortis de la promo et de la saison des récompenses. La performance de Scarlett Johansson et le scénario primé.
Il ne faudra tout de même pas oublier la superbe performance de Joaquin Phoenix, génial dans sa sobriété. L'interprétation de l'actrice récemment honorée aux Cesar a été jugée inéligible par l'Académie des Oscars. Beaucoup de gens ont affirmés leur désaccord avec ce choix, dont Quentin Tarantino. La prestation de Scarlett Johansson ne mérite effectivement pas d'être snobée. Lorsqu'on s'adonne à un personnage, on engage tout son corps. Du petit orteil aux cheveux en passant par les jambes les mains ou les yeux, chaque parties de nous doit changer (ou non) pour devenir celles d'un autre et pour exprimer ce que la parole ne peut pas dire. Avec sa voix pour seul outil (mais pas le moindre de ses atouts), la porte-parole de Samantha s'est vue confier une contrainte de jeu. Sa légendaire beauté ne lui est d'aucune aide dans le charme immense qu'elle apporte à son rôle. Son visage radieux et souriant est perceptible rien que par le ton enjôleur qu'elle prend. Sans apparence elle porte en elle les dons des trois autres personnages féminins que Théodore rencontre.
La même attention que lui prête son amie Amy, la gaieté de son rencard joué par Olivia Wilde et la brillance de son ex-femme Catherine (magnifique Rooney Mara). La femme idéale étant donné qu'elle s'abstrait des désavantage de ces trois autres relations. Amy Adams n'est pas autant à son avantage que dans American Bluff, vieux pulls et coiffure approximatif. Bref la bonne copine au look un peu disgracieux. Samantha est séductrice mais pas aussi frivole que la demoiselle du rendez-vous. Aussi intelligente soit-elle, Catherine est très dure et sans équivoque avec ancien compagnon. Le système Samantha a une personnalité, ce que défend très bien le film. Par l'amour convaincu que lui porte Théodore et l'évolution de ce personnage atypique, il réussi à nous emporter dans une relation pourtant plus qu'improbable sur le papier. Et c'est justement tout le propos de l'histoire.
"Her" raconte l'importance que prend la révolution numérique dans notre quotidien. Le boulot donné à Joaquin Phoenix symbolise la façon dont la modernité nous rend délégant. Face à cette perte du "par soi-même" et le potentiel sans limite de l'innovation, le scénario original de Spike Jonze pose la question de la substitution amoureuse que tout cela pourrait entraîner. Le coup de foudre est d'abord montré sous un angle ordinaire pour devenir peu à peu universel mais problématique. Au fur et à mesure on est embarqué dans le couple et épris par leurs sentiments.
Ce projeter dans le devenir était pari risqué. La photographie est vraiment superbe. Un jeu de couleurs captivant et bien cadré. Les idées futuristes du scanner de lettres ou du jeux-vidéo hyper-interactif et autres affichages modernisés sont absolument géniales et admissibles. Le petit être de la console dernier-cri, sorte de "Ted" bionique, est assez hilarant. Un écart chouette et amusant. Anticipation réussie dans une modernité bien jaugé.
A travers une douce folie "Her" raconte une histoire d'amour qui reflète l'intrusion de la technologie dans la part la plus personnelle de la vie humaine. Tout est juste dans cette fabulation plus visionnaire que fantaisiste. Le casting et la photographie sont d'une qualité impeccable.