En une simple nuit porteuse de conseil, ma note sur ce film est passé de « presque parfaite » à « parfaite ». Tout ça parce-que, non content de fatiguer ma chérie dès la fin du film hier soir avec la foule de question philosophiques qu’il m’a inspirée, j’y ai repensé une bonne partie de la nuit et dès ce matin au réveil. Pour moi, l’idée que ce film a eu un tel effet et suscite tant de questions fondamentales suffit, en plus de toutes les qualités que je lui trouvais spontanément, à justifier la note la plus élevée. J’en sors plus riche, pas forcément de réponses, mais au moins de questions sur notre avenir bien sûr, mais surtout sur notre présent qui prend déjà forme dans l’histoire d’amour de Théodore.
Vous ne m’en voudrez pas d’évacuer au plus vite les grandes et indéniables qualités cinématographiques du film. La narration de Spike Jonze est finalement assez linéaire, même si elle comporte quelques flashs-back qu’on identifie assez rapidement. Cette histoire est celle de Théodore, écrivain public et amoureux dans un futur proche. Sa femme, amour de toute éternité, le quitte faute de continuer à comprendre un Théodore qui, peut-être parce-que trop sensible, est incapable d’exprimer ce qu’il ressent de plus profond. Sans vouloir en faire un substitut de rupture, Théodore fait l’acquisition d’un système d’exploitation, Samantha, doté d’une intelligence artificielle. Leur « relation » débute sur des rapports d’humain à machine, remplacée peu à peu par une amitié puis par une authentique histoire d’amour et tout ce qu’elle comporte de bonheur et de déchirement.
La caméra de Spike Jonze se fait caressante, privilégiant une forme de spontanéité dans le choix des cadrages et des mouvements. Sans parler de forme documentaire, on ressent la proximité d’images comme prises sur le vif. La bande-originale suit un peu le même chemin, puisqu’elle est souvent présentée au travers des morceaux de musique qu’écoute Théodore, parfois même composés par Samantha itself. Même si le rythme privilégié est souvent « lent », l’ennui n’apparait jamais, cette lenteur est plutôt synonyme de douceur, la douceur avec laquelle s’installe l’intimité entre Théodore et Samantha. On contemple ce rythme plutôt qu’on ne le subit.
La force principale de Her réside dans la richesse des questions qu’il pose et des thèmes qu’il aborde. Loin de moi l’envie de faire un cours magistral, ou bien même d’apporter mes propres réponses à cette foule de questions essentielles et immédiates. Citons pêle-mêle la question de la primauté du corps sur l’esprit face à l’égale importance des deux, la signification de l’intelligence par rapport à la personnalité, la signification du sentiment amoureux (abstrait sentiment complet ou concrète alchimie complexe ?), sa manière de se construire, la réalité ou la virtualité de ce sentiment, la désincarnation de la personnalité humaine dans la personnalité numérique. Mais la question philosophique centrale, outre la beauté de cette histoire d’amour « virtuelle » mais sincère, est de se demander si l’être humain est, oui ou non, doté d’une « âme », d’autre chose que de simples connections neuronales, que ses réactions seraient plus que dues à de primaires réactions chimiques. Un jour peut-être, l’intelligence artificielle verra le jour et si elle existe réellement, se posera alors la question du surplus d’humanité que s’accordait l’être humain, son supplément d’âme.
Sans apporter le moindre début d’explication ou de réponse, et sous les dehors d’une superbe histoire d’amour, Spike Jonze provoque la fascination par l’interrogation. Il trace le portrait anticipé d’une société déconnectée du réel et reconnectée au virtuel, une société où déambulent des passants qui ne se regardent plus car connectés « ailleurs », leur regard rivé au sol. Formidablement porté par Joaquin Phoenix, réchauffé par la voix de Scarlett Johansson et les toujours plus craquants yeux de biche d’Amy Adams, ce film aiguise l’appétit du cinéphile pour le visage que revêtira notre société dans un futur proche, il démontre que peu importe l’existence ou non de réponses, l’important est de toujours se questionner et d’aiguiser en permanence son sens critique.