Le brillant Spike Jonze a encore frappé et fait le pari de réinventer les histoires d’amour au cinéma, un nouveau souffle qui fonctionne à merveille et qui fait du bien. Tout d’abord parce que Spike Jonze sait raconter les histoires. Oscar du meilleur scénario original, Her est un petit ovni d’une intelligence rare à tout point de vue. Le scénario est tenu de bout en bout et propose une lecture assez édifiante de notre avenir en tant que société 2.0. Le premier plan s’ouvre sur Theodore en plein monologue mais curieusement il semble ne pas parler de sa situation. En effet, il est train de rédiger à l’oral (le film semble amorcer la disparition progressive de l’écriture et même du clavier) une lettre d’amour d’une septuagénaire à son époux pour leurs cinquante ans de mariage via le site belle-lettre-manuscrite.com ! Le spectateur est d’emblée projeté au coeur d’une mégapole made in Apple où tout est prétexte à la substitution. Ainsi, plus la société "matérialise" le virtuel, plus l’amour se traduit lui même par du virtuel. On assiste ébahi à une décomposition, une redéfinition des relations inhérentes à l’invasion des technologies. Une invasion qui parvient à combler quelque chose que tout le monde croit qu’il est impossible de copier. Ainsi, le scénario déroule impeccablement le fil conducteur du film que sont les nouvelles technologies à travers la désuétude de nos plus profonds concepts que sont l’amour et l’amitié. L’amitié aussi car même si Theodore a une meilleure amie depuis la fac, tous les deux, lorsqu'ils se voient, ne parviennent pas à lâcher leur smartphone et n'arrivent plus à communiquer physiquement. Ainsi la relation de Theodore et Amy (chouette Amy Adams) se heurte également au virtuel mais de manière encore plus profonde et importante que notre société actuelle, elle même incapable de se passer de smartphone ou de facebook. La grande différence étant que même si nos relations amicales sont aussi aujourd'hui entretenues par la virtualité, nous avons au moins le mérite de dialoguer par ce substitut, ici employé à des fins purement personnelles. Tout l’univers construit autour des OS est ainsi admirablement fait mais surtout profondément réaliste, inscrit dans une logique évolutive de notre société. Le génie du film réside ainsi dans toutes ces inventions de substitutions que le spectateur est intrigué de découvrir et ne peut s’empêcher de se faire la réflexion : "ça arrivera sans doute un jour". Ainsi lorsque l’OS de Theodore, Samantha, propose à ce dernier une partie de jambes en l’air avec une inconnue en chair et en os, jeune femme clairement désignée comme "substitut de l’OS", on atteint alors le paroxysme de ce que la technologie peut engendrer d’aussi puissant et incontrôlable, que même Theodore a dû mal à accepter. Dans cette séquence, le corps est clairement au service d’une entité virtuelle, la jeune femme désire combler ce manque entre Theodore et Samantha. Cela en devient presque insupportable pour le spectateur de concevoir que deux inconnus consentants puissent faire l’amour par dépit, dans le souci de combler le manque, la frustration d'un robot. Ce génie scénaristique semble de ce fait amorcer les prémices d’une décomposition des relations amicales et amoureuses, où corps et esprit sont clairement dissociés et où l’individu lambda de cette société futuriste n’est plus en mesure d’établir de relation concrète sans l’aide d’un logiciel informatique. Si Spike Jonze semble confronter le spectateur au rapport entretenu avec les réseaux sociaux qui peuvent favoriser l’isolement, il arrive aussi à construire un univers futuriste dialoguant avec notre société actuelle et ainsi élaborer une vision du futur en conséquence avec nos comportements et relations d’aujourd’hui.
La mise en scène du film entre parfaitement en symbiose avec le scénario afin de recréer une ambiance très intéressante. Tourné à Shangai, c’est au coeur d’un espace linéaire, pastel et graphique à l’intérieur l’histoire prend place. Jonze renoue avec le chef opérateur Hoyte Van Hoytema avec lequel il avait collaboré dans Max et les Maximonstres afin de créer un espace naturel aux couleurs chaudes en harmonie avec l’ambiance futuriste du film. Sur certains plans, une brume épaisse masque une partie du paysage dans le but de préserver un certain côté mystérieux de ce potentiel futur. Réalisé avec peu d’effets spéciaux, les incrustations ainsi que les accessoires sont en harmonie avec le cadre. Le style rétro années 30 des costumes complète l’univers singulier du film, avec une petite touche hipsterisante. Côté distribution, Joaquin Phoenix est impeccable et livre une prestation en finesse, très juste. La symbiose avec la voix de Scarlett Johansson se fait ressentir, cette dernière collant à merveille à l’univers du film. Non seulement la magie opère entre les deux personnages mais en plus Johansson bluffe le spectateur par le pouvoir d’imagination que possède sa voix : si Samantha n’existe pas, qu’elle n’est qu’une entité vocale abstraite, elle parvient à se faire matérialiser par le spectateur, devenant un personnage à part entière, malgré l’absence de corps. La figuration est également bien menée : pratiquement chaque figurant est isolé dans son monde, dialoguant avec son oreillette ou son portable. Personne n’est choqué de voir Theodore parler seul dans la rue. Et personne ne s'étonne lorsqu'il qualifie d’amoureuse sa relation avec Samantha. La solitude est ainsi un point clé du film que l’on peut voir par le biais de nombreux flashs back et de fantasmes, le contact physique étant quasiment inexistant entre les personnages réels. Le sexe est ainsi substitué, relayé au second plan, le toucher est secondaire et peut être même plus à portée de main (comme le décrit bien la séquence "ChattRoulette"). Le film met ainsi en avant le repli et la solitude ainsi que la désuétude des relations qui peuvent être entraîné par ce phénomène technologique, profondément individualiste.
Ainsi, Spike Jonze réussit non seulement à écrire et réaliser un film de génie qui apporte un souffle certain aux histoires d’amour et à la science fiction mais il pose également les bonnes questions concernant nos relations par rapport au monde et à notre société. Cinéma poétique 2.0, Her est une réflexion sur les évolutions et les représentations de l’amour dans un hypothétique futur dans lequel la solitude règne. Brillant.