Here s’inscrit dans une démarche tout à la fois poétique et narrative. Si la dispersion des époques, des cultures et des familles contribue à une attention portée à ce qui d’ordinaire apparaît insignifiant – les actions du quotidien, que le cinéaste et poète nous apprend à reconsidérer –, le collage des vignettes sur un même plan large donne vie au récit cohérent d’un lieu chargé de souvenirs, traversé par les siècles, par l’Histoire et par les générations chacune chargée de ses petites histoires. Le désordre de la chronologie, causée par d’incessants allers-retours temporels, crée un tissu complexe où s’entremêlent des fils de différentes origines, compose une toile par touches de couleur à la façon des artistes impressionnistes – notons que la passion de Richard Young pour la peinture n’est pas due au hasard, pas plus que la réalisation de fouilles dans le jardin familial duquel est exhumé un collier sacré.
Robert Zemeckis conçoit son dispositif de mise en scène telle une caisse de résonnance dans laquelle se chante l’humain entendu dans ses espoirs, dans ses déceptions et dans ses angoisses ; revient en leitmotiv le motif du tempus fugit, vanité dans laquelle le cinéaste américain jamais ne se complaît mais qui lui sert davantage de support à une réflexion sur la tension déstabilisante entre la répétition d’un schéma circulaire et la prise en compte de l’individu dans sa singularité congénitale. Les rectangles dessinés çà et là ouvrent des fenêtres et des portes donnant accès à un autre âge où les préoccupations furent ou seront sensiblement identiques ; pourtant chaque période conserve son atmosphère, sa lumière, sa chaleur humaine, à l’instar des œuvres de Zemeckis elles-mêmes, distinctes quant au récit mais reliées par une infinie douceur aussi réconfortante qu’un bon feu de cheminée un soir d’hiver.
La sagesse acquise par le cinéaste, la délicatesse du thème principal orchestré par Alan Silvestri, le talent des comédiens, la pertinence du dispositif qui jamais n’ennuie, toujours se renouvelle jusqu’à ce travelling – premier et dernier ! – tout simple en apparence, bouleversant en profondeur… Un enchantement, dialogue audacieux et pleinement réussi entre le populaire Forrest Gump (1994) et le spirituel Tree of Life (Terrence Malick, 2011).