Robert Zemeckis était porté disparu au cinéma depuis 2018, soit une éternité au regard de la mémoire de plus en plus courte du public.
Les bouillons critiques et publics injustes subis par Bienvenue à Marwenn, Alliés, The Walk et Flight n'ont pas aidé non plus, il faut dire. Il ne sera donc pas très étonnant que Robert soit décrété cramé et perdu pour la cause. D'autant plus que ces derniers temps, il servait la soupe au vilain Mickey pas bien, se muant en esclave consentant du conglomérat qui s'est juré de vous ramollir ce qui vous reste de cerveau et de salir le septième art selon Marty.
Here : Les Plus belles Années de Notre Vie referme donc cette parenthèse pas très enchantée... En se prenant déjà un nouveau bouillon de l'autre côté de l'Atlantique. Misère...
Et l'on se dirige vers la même chose ici, tellement son distributeur ne semble pas croire à son propre film, vu sa promotion plus que tardive et une sortie honteuse à la sauvette.
On vous parlera sans doute du dispositif de l'oeuvre, plutôt atypique et casse-gueule en ces temps de standardisation narrative. Certains vous diront même que Here ne raconte rien et est vide de sens.
Pff...
Sauf qu'avec Here, on retrouve l'amour et le goût de l'expérimentation qui caractérise Robert Zemeckis. Après une scène initiale remontant le temps, sa scène s'installe : lieu unique en forme de scène de théâtre qui ne quittera jamais l'écran. Un lieu transcendant le temps, passant d'une époque à l'autre via de multiples fenêtres qui s'ouvrent au spectateur. En forme de collage ou de cases entremêlées d'une BD. Comme des sauts incessants entre passé et présent, propices à toutes les rimes visuelles. Ancré via certains objets du quotidien prononçant l'ancrage de la temporalité superposée aux images et aux multiples personnages qui traversent l'écran.
Robert Zemeckis, à nouveau, met en image sa fascination de l'expression du temps, comme il l'avait fait naguère avec Retour vers le Futur et comme il avait mêlé sa course avec celle de son personnage fétiche, Forrest Gump, dont Here reprend le scénariste et les deux têtes d'affiche.
De façon moins évidente que dans Forrest Gump, Zemeckis porte en creux dans Here, à nouveau, un portrait de l'Amérique, de la désacralisation de ses terres, de ses changements sociaux, de ses progrès et de ses blessures historiques.
Mais le coeur évident du film se trouve dans chacun de ces petits instants du quotidien, trop fugaces pour que l'on y prête vraiment attention, et qui sont voués à s'effacer du cours de ce grand tout. Toujours immuable, parfois cruel, le temps dont on manque toujours passe sans possibilité de se retourner. L'espace fermé en état de changement perpétuel témoigne des constantes évolutions intimes des personnages, en parallèle des changements traversant la société américaine. Il juxtapose les moments de joie, de doute, de tension, les malheurs, les espérances qui s'effacent, les rêves auxquels on renonce, les concessions, les frustrations. Devenant un lieu qui absorbe peu à peu les énergies et la mémoire de chacun.
Here est-il une chronique familiale ? Oui. Mais il est aussi, et surtout, animé de tout le banal et de toutes les émotions de nos vies, celles que l'on mène et celles dont on rêverait. De toutes les émotions vibrantes dont Robert Zemeckis s'empare à merveille, avec une délicatesse identique à celle qui irriguait Bienvenue à Marwenn en 2018, pour mieux les fixer pour l'éternité sur pellicule.
Bouleversant et vertigineux, Here rappelle simplement que son auteur n'est jamais parti.
Behind_the_Mask... Et c'est le temps qui court.