Heureux mortels par Maqroll
Pour son premier film en solo (Ceux qui servent en mer était co-signé par Noel Coward), David Lean se lance sur les traces de Frank Lloyd et de son Cavalcade à travers l’exposé de l’entre deux guerres (de 1919 à 1939) vue par le petit bout de la lorgnette d’une famille anglaise type. Disons tout de suite qu’il y a un monde entre le modèle et son imitateur. La réalisation de Lloyd est certes d’un académisme strict mais elle possède un souffle certain et surtout elle rend compte de l’évolution des Etats-Unis sur toute une période, la grande histoire se reflétant dans la petite. Rien de tel chez Lean dont la mise en scène est tout aussi académique mais reste étriquée et engoncée dans sa contrainte de départ. Jamais on ne sent vivre et battre une nation, un état, un peuple comme on le sentait dans Cavalcade. L’histoire reste confinée - en dehors de deux ou trois scènes d’extérieur qui ont l’air rapportées - à la maison familiale. De même, la notion de temps qui passe est particulièrement mal rendue, Lean se contentant de se brancher sur quelques « grands événements », mariages, décès, etc. sans apporter d’autre touche à ce qui devient du coup un procédé. De plus, la caméra de Lean est lourde et manque d’inspiration. C’est flagrant dans la scène clé où l’une des filles apprend à ses parents que son frère est décédé dans un accident. La caméra reste à l’extérieur, comme tout au long du film, et se contente de nous montrer le retour dans la maison du couple des parents, accablé par la nouvelle. Lean confond visiblement pudeur et manque de vie, la première consistant à retirer la caméra au bon moment, pas à la laisser en dehors à chaque instant. Au total, l’effet mélo sirupeux est encore plus grand que si l’on avait tout vu ! La seule bonne touche vient en fait du duo d’acteurs principaux, Robert Newton et Celia Johnson tenant avec conviction et talent leur rôle. Terminons en soulignant que Davis Lean, honnête artisan du cinéma, va rencontrer pour son film suivant un succès surestimé avec Brèves rencontres et poursuivra sa carrière avec des adaptations de Dickens (Les Grandes Espérances, Oliver Twist), des romances fades décalquées sur Brèves rencontres (Les Amants passionnés, Vacances à Venise) et d’immenses fresques grand public (Le Pont de la rivière Kwaï, Lawrence d’Arabe, Docteur Jivago, La Fille de Ryan) Mais le meilleur de son œuvre, à mon goût, reste dans ses comédies du début de son œuvre : L’esprit s’amuse et Chaussure à son pied… Hélas, il n’en a fait que deux !