Bon, alors j'y suis quand même allée malgré des critiques généralement mauvaises.
Verdict : on est assez loin du roman de Binet, mais on pouvait s'en douter. Littérature et cinéma n'utilisent pas, en dépit d'affinités électives, les mêmes canaux.
La question de la difficulté, pour l'auteur de roman, à donner une forme à la vérité historique brute, est au cœur du roman de Binet. Elle est tout à fait évacuée dans le film de Jiménez.
Ce qui est en fait assez gênant dans ce film, c'est qu'on a un récit/montage sans voix ni mode, pour reprendre la terminologie d'un Genette. On suit d'un côté la naissance du Néron ; puis, plus tard et d'un autre, l'organisation des résistants pour l'assassinat de Heydrich. Mais où est l'œil du réalisateur ? Flottant. L'attachement du spectateur aux personnages, et surtout à ceux des résistants que l'on confond un bon moment, est donc tout aussi flottant. C'est d'autant plus dommage que Jason Clarke est incroyable en Heydrich. On est loin du visage bonhomme du Rob Hall d'Everest. Il fait littéralement peur. Le plan-séquence d'ouverture est aussi assez génial : on suit de dos une petite fille qui court en robe et chaussettes blanches ; un homme qu'on devine être son père entre dans le champ, la soulève et la porte comme un petit paquet sous son bras, elle rit. On est à hauteur de ceinture. Puis l'homme, toujours de dos, avance vers la grande maison, la caméra le suit et ouvre son angle : le pantalon ordinaire du père s'avère être la culotte très reconnaissable du haut-dignitaire nazi, rentrée impeccablement dans la botte. L'homme s'avance vers un miroir et ajuste sa coiffe de SS. La métamorphose est achevée en un seul mouvement. On a beau connaître l'Histoire, le plan fonctionne bien et témoigne des qualités de Jiménez. D'autres belles fulgurances visuelles et très cinématographiques sont à signaler dans le film, mais l'art de raconter implique un choix que le cinéaste n'a pas su faire. Les lignes de force du portrait et de l'événement historique se brouillent constamment. J'ai envie de revoir "Les Bourreaux meurent aussi" de Fritz Lang.