Qu'est-ce qui me vient au moment de résumer le premier western 100 % corned beef du français Audiard ? Un "Pourquoi j'ai mangé mon père" à l'époque du wild wild west. Comme dans le roman énauuurme de Roy Lewis, on a le parricide freudien émancipateur, la fable écolo-fouriériste et le révélateur chimique des rivières aurifères qui vaut bien l'invention du feu par l'homme. Fantaisiste, tendre et férocement drôle. Très mélancolique aussi.
D'abord un bravo au chef op. pour la qualité délicate des images, du noir incendié de la séquence d'ouverture aux petits matins légers à l'éclairage diffus.
Et puis bravo aux deux tandems de personnages, évoluant d'abord chacun de son côté pour s'associer ensuite de manière assez improbable en quatuor de picaros. Les quatre acteurs impeccables, avec une mention spéciale pour John C. Reilly (Eli).
D'un côté donc, Charlie (Joaquin Phoenix) et Eli Sisters, tueurs à gages aussi affreux qu'imbéciles et qui, entre deux cadavres, bavassent à cheval de l'importance de trouver sa place au sein de la fratrie, comme Jacques le fataliste et son maître, comme Joe et Averell Dalton, comme Don Quichotte et Sancho Pança, comme le bon, la brute et le truand, au point qu'on finit, tour de force, par les trouver sympathiques.
De l'autre, un dandy lettré adepte de Thoreau (Jake Gillenhaal) et un idéaliste visionnaire, Hermann Kermit Warm (Riz Ahmed), hérésie vivante dans ce monde barbare et injuste de la ruée vers l'or, qui font rebondir les enjeux du western canonique, dont Audiard renouvelle les codes.
Pas de lonesome cow-boys taiseux et de vastes chevauchées dans des canyons arides chez Audiard. Même s'il est allé se frotter l'os aux grands espaces secs de l'Ouest, c'est au cœur de l'intime humain que se joue son western, avec la violence qui caractérise son univers cinématographique et ses thèmes privilégiés : les pères, les fils, la fraternité, quelque chose de mythologique et de monstrueux dans ces liens pour advenir ce que l'on est.
Ce qui m'a gênée, c'est sans doute le flou de la narration quand elle fait se rejoindre le parcours initiatique des Frères Sisters et l'allégorie historico-politique des associés Morris-Warm dans la rencontre de deux mondes opposés. Une histoire (surtout la première) me semble se perdre aux dépens de l'autre et on ne sait pas toujours bien où Audiard veut en venir, même si c'est à Dallas, "ton univers impitoyable" que tout doit finir. ..Le film se termine par un retour des frères Sœurs chez leur Ma'. Matriarcat régressif ? Je ne sais pas bien.
En revanche, j'ai beaucoup aimé les scènes fantasmagoriques, parce qu'elles allient la candeur du conte à la démence du cauchemar et rappellent la nature à la fois mythique et progressiste du western américain : le supplice du cheval en feu, la découverte de la brosse à dents, le bain alchimique dans la rivière d'or, la morsure de mygale dans la bouche d'Eli endormi.
Des personnages féminins éphémères mais forts aussi, comme Mayfield, tenancière du saloon, Rebecca Root, comédienne transgenre remarquable.
Un western qui s'apprécie.

Sabine_Kotzu
8
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le 9 avr. 2020

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Sabine_Kotzu

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