L’intelligence du documentaire High School est de définir l’école, entendue à la fois comme établissement et comme institution (alors augmentée d’une majuscule), comme un lieu d’enseignement moral : toute les disciplines investies par le cinéaste diffusent des valeurs d’autant plus persuasives qu’elles se répètent entre elles et qu’elles opèrent même en dehors de la classe, comme en témoigne l’insistance sur les convocations et rendez-vous donnés par le proviseur adjoint durant lesquels l’autorité et la nécessité de son respect se teinte de responsabilisation visant à raccorder les velléités individualistes aux injonctions collectives. C’est toute une société qui se réincarne ici, si bien que le lycée se fait microcosme : on y apprend à cuisiner et à manger, à respecter les horaires, à entretenir son corps ainsi qu’à le mettre en valeur ; des sensibilisations à la sexualité sont imposées dans l’amphithéâtre ; l’adulte reçoit le bagarreur pour le remettre à sa place, proche en cela du policier que nous apercevons d’ailleurs au détour d’un couloir.
De nombreux gros plans accentuent à la fois le souci du détail de Frederick Wiseman et son attachement aux gestes éloquents, à ces signes du corps qui disent un être. Sans aucune intervention narrative, il rend compte des paradoxes de l’École, exigeant des enfants et des adolescents ce que les adultes sont incapables de réaliser – pensons à ce père de famille qui projette sur sa fille ses propres projets –, insuffle néanmoins un vent de contestation par la bouche des élèves, qui ne cesse de grandir jusqu’à investir la cause militaire, relative à l’engagement des États-Unis au Viêtnam. Cette guerre plane sur l’œuvre tel un spectre dont personne ne doit prononcer le nom ; la clausule explicite cet ancrage historique et idéologique de façon brillante, dans la mesure où l’oratrice de la lettre d’adieux d’un élève du lycée est retranscrite de sorte à émouvoir. Le movere, arme rhétorique ultime du pédagogue d’État pour rallier aux intérêts du pays les jeunes âmes présentes dans la salle.
Le cinéaste laisse son film en suspens pour mieux le continuer quelques années plus tard avec Basic Training (1971) et son camp de formation du soldat américain situé dans le Kentucky, mobilisant des pratiques similaires pour enrôler ses élèves. Une œuvre brillante.