C'est donc l'antithèse de Captain Phillips ou presque. Approche intime, nombreux pirates somaliens intelligents et pas du tout négociateurs, petit équipage, petit cargo, capitaine HS dès le départ. Pas totalement l'antithèse non plus puisque là aussi, le propos est tellement concentré sur deux personnages en particulier qu'il en devient presque réducteur avec les autres. Pour le coup, le Capitaine et le terroriste armé se font oubliés tout le film ou presque. Tobias Lindholm le réal est néanmoins un petit malin qui s'intéresse précisément à ce que Paul Greengrass pointe en Joker : les détails, la pression du quotidien, le temps long, régulier, de plus en plus écrasant, bien plus dévastateur psychologiquement que la pression de l'instant. En épurant son récit jusqu'à ne garder que la moelle des émotions véhiculées par l'image en direct, Tobias Lindholm offre une belle puissance et de nombreux instants simples et forts à valeur documentaire. Omar le négociateur somalien est à ce propos montré dans cette optique de ne pas imposer sa présence malgré son emprise importante. Il est pourtant clair que sous ses allures innocentes de relai aux terroristes, c'est bien lui qui dirige en bonne partie le deal, le sort de l'équipage et règle la température.
Les deux personnages principaux, cuisinier capturé et directeur négociateur, montent ainsi très progressivement vers un état de nerfs mis à vif. Deux personnages remarquablement interprétés, deux points de vue, une attente insoutenable presque minimaliste, qui montre parfaitement l'épreuve traversée par scénettes éparses. Nous avons là un magnifique tableau d'émotions danoises, juste un peu entaillé par des bonds en avant dans le temps et le parti pris de ne pas montrer ce qui pourrait passer pour de l'action, bouh la vilaine.
Sans suspense revendiqué, Hijacking se regarde un peu tel un tableau impressionniste, tellement constellé de nuances qu'il oublie presque de se vouloir complet pour ne devenir papillon qu'à l'ultime instant. Le petit twist final "tiens, réfléchis à ça maintenant", non sans reproche si on le cherche, s'ajoute pourtant harmonieusement au point de vue global. Quelques émotions vécues lors de "Nobody knows" sont aussi remontés et ça non plus, ce n'est pas rien.
En plus clair, ça glande quand même très légèrement histoire de bien te faire sentir l'instant qui se déroule sous tes yeux ébahis mais ça vaut surtout largement le coup de vivre d'aussi près ce qui peut arriver à n'importe qui ou presque, là où la vie ne tient plus qu'à une liasse de billets en plus ou en moins. L'instinct de survie d'un cuisinier face à l'instinct de négociation de son patron à coups d'enchères méthodiques offrent un duel d'antagonismes pesant entre le brutal et l'absurde, le chaud et le froid, un cocktail d'émotions réelles qui refuse sciemment le divertissement et l'héroïsme et nous donne à palper la vraie valeur d'une vie.
(Je ne peux donc sérieusement pas mettre moins qu'à Captain Phillips... Mais j'aime bien les deux approches pour des raisons absolument opposées)