Kapringen est encore un très bon film danois à mettre à l'actif de Tobias Lindholm ici à la réalisation, mais aussi scénariste de Jagten (ou La Chasse). L'homme est talentueux, en témoignent les notes Sens Critique de ses films, toutes comprises entre 7.1 et 7.8.
Kapringen nous fait vivre la prise d'otage d'un bateau marchand par des pirates somaliens au large de l'Inde. On suit cette histoire depuis deux points de vue: celui de Mikkel, le cuisinier membre de l'équipage, et celui de Peter, le PDG de l'entreprise possédant le bâteau et employant le personnel à bord. Il s'agit en un sens d'un double huis-clos, intérieur du navire d'un côté, bureaux de l'entreprise de l'autre.
Le film est presque un documentaire, on ne cherche pas à creuser la personnalité de chacun. Le spectateur est simple témoin des scènes et peu à peu on désespère de voir la situation se débloquer.
En effet, c'est une véritable guerre psychologique qui s'engage entre les pirates d'un côté, et le PDG aidé de quelques collègues et d'un spécialiste de l'autre. On note d'ailleurs qu'Omar, le chef somalien comme Peter, celui de l'entreprise danoise, se font tous les deux passer pour des intermédiaires dans les négociations pour se permettre des délais de réflexion. Les pirates sont loin d'être barbares, au contraire. Ils sont très professionnels et manient finement la psychologie. Afin d'augmenter la pression qui pèse sur les épaules de l'entreprise, ils accentuent le désespoir des membres de l'équipage en alternant bons et mauvais traitements de façon soudaine et imprévisible. La barrière de la langue aidant, ils profitent de l'incompréhension des marins pour laisser planer un doute permanent et usant mentalement, entre Syndrome de Stockholm et peur (le spectre est large, oui).
On a donc un vrai affrontement psychologique dans lequel le temps est aussi bien un ennemi qu'un allié pour chacun des deux partis. Chacun l'utilise pour mettre la pression sur l'autre, et c'est à celui qui craquera le premier en acceptant une offre. D'un côté, Peter doit faire face à la pression des familles et celle de récupérer en vie son équipage, de l'autre Omar doit faire face à sa propre envie de rentrer, du manque de vivres mais aussi du risque de ne pas toucher d'argent. Pendant ce temps, l'équipage reste dans l'ignorance, ne sait pas où en sont les négociations, quand il rentrera, ou même s'il rentrera. Nous, spectateurs, avons beau connaître l'état de ces négociations, on se pose la même question. Suspense donc.
Un mot enfin sur les jeux d'acteurs, tous impressionants. D'un côté l'entreprise où tous paraissent être de véritables hommes d'affaires: que ce soit dans le lexique employé ou la manière de parler, c'est d'un réalisme extraordinaire, renforçant celui du film. De l'autre la performance des acteurs sur le bâteau: je ne serais pas étonné d'apprendre que les acteurs se sont préparés en s'isolant pour connaître un désespoir similaire tant leur prestation est poignante. La réalisation est ingénieuse tant et si bien que nous prenons une bouffée d'air frais à chaque fois que les otages y ont droit. On rit et on désespère comme eux, comme si nous étions avec eux.
Un film qui ne se regarde pas, mais qui se vit.