Le deuxième film que je vois du réalisateur s'échine à filmer la vie sous forme de laideur : des lieux impersonnels dans une lumière plate, naturaliste, dénuée de toute esthétique, comme pour renforcer le côté profondément absurde du monde, la désuétude des lieux, la solitude des espaces, la valeur et l'importance des individus, toujours seuls, que Hong Sang-Soo s'échine à filmer. J'avais particulièrement aimé le précédent film du réalisateur Coréen, Sunhi, qui annonçait pour moi la découverte d'un bonhomme du cinéma qu'il faut que je découvre pas à pas. Ce qui m'avait frappé en plein visage, c'était la façon de filmer qui fait penser à du Rohmer, et surtout, ces personnages barrés, maladroits, seuls, complètement à côté de la plaque, qui s'échinent coûte que coûte à aller au revers des choses, à trébucher dans le monde. De longues discussions frontales autour d'une table, dans des cafés, des restaurants. Et l'alcool qui inhibent les conversations, sans arrêt, où l'on voit au nombre de bouteilles vides posées sur la table le degré d’alcoolisme sur les visages, les postures. Alcool qui renforce la profonde maladresse, le pathos de tout un chacun, sans exception, et bien sûr, le comique de situation.
Ce que filme sans arrêt Hong Sang-Soo, ce sont des personnages qui ne savent pas vivre. Des ratés, de ceux qui disent tout de travers, presque pitoyables, sans cesse à l'ouest ou à côté de la plaque, pas très sûr d'eux-mêmes, inadaptés, qui discutent en répétant les mêmes choses, les mêmes situations, qui n'avancent pas, qui font des boucles et des détours, comme chez Rohmer en fait.
Mais Rohmer, au contraire des films de Hong Sang-Soo, n'est jamais drôle. Il prend tout au sérieux, il est léger comme une plume, oui, mais sans arrêt dans l'analyse, dans l'intellect. Chez Rohmer, les individus s'échinent à se triturer le cerveau, à retourner et retourner en boucle les mêmes interrogations, c'est de la branlette intellectuelle de pur jus où l'on observe les uns et les autres parler, parler, encore et encore, et rien d'autre. C'est pourtant ce que j'aime chez Rohmer.
Ainsi, ce qui relie surtout les deux réalisateurs d'horizons bien différents, c'est cette légèreté dans chaque films, cette maladresse, naïveté.
Au contraire de Sunhi, Hill of freedom est un film d'une laideur absolue dans sa forme la plus entière. Parfois, on a presque l'impression que c'est un documentaire que l'on est en train de voir. Dans Sunhi, il y avait cette jolie lumière ensoleillée qui apportait vraiment de la fraîcheur au film, ce quelque chose d'un Rohmer qui aime lui aussi la lumière. Dans Hill of Freedom, tout est moche. Les personnages sont tous effroyablement impersonnels dans leur façon de s'habiller, à l'image des lieux, des lumières crues, blafardes. Tout est profondément naturaliste. Rien n'est mis en valeur, comme pour accentuer ainsi l'inutilité de tout, l'absurdité de chaque personnages, quelconques, comme tout le monde, sans intérêt. Ce ne sont rien d'autre que des pions dans un jeu d'échecs qui tentent de gagner mais qui perdent d'avance, tant ils ne savent comment être, comment se comporter, comment communiquer, comment être là au bon moment, comment vivre dans le monde. Ils ne trouvent pas leur place.
Ainsi, tout est drôle. Effroyablement pathétique de bout en bout. Je pense à cette femme dans Sue perdue dans Manhattan, qui pourrait se perdre avec ces personnages Coréens, et tout irait pour le mieux. Ils se saouleraient la gueule ensemble, elle se ferait draguer maladroitement, pathétiquement, et tout irait pour le mieux, tellement le personnage interprétée magnifiquement par Anna Tomson, se rapproche le plus des personnages Coréens du présent film.
Extraordinaire Anna Tomson dans Sue perdue dans Manhattan, qui rappelle Gena Rowlands et plus généralement le cinéma de Cassavetes.
Ainsi on se fend la gueule en permanence, pas très à l'aise, à la vision de ces scènes incongrues, infiniment pathétiques, de ces dialogues qui vont droits dans le mur. En cela, les acteurs sont incroyables, emplis de justesse à jouer le pathos avec autant de naturel, de crédibilité. On suspecte une auto-dérision merveilleuse, extraordinaire, suprême chez les acteurs.
Le personnage de Frances dans le film Frances-Ha vient immédiatement alors se greffer dans notre tête.
Malaise de tels film, un certain sentiment de reconnaissance dans certaines situations, certains comportements. Mais j'espère que je ne suis pas autant à côté de la plaque comme ces nombreux personnages tous dérisoires, ratés.