Premier film de Bertrand Blier, alors âgé de 22 ans, il s'agit en fait d'un documentaire produit par l'héritier des pneus Michelin ! C'est le portrait de onze jeunes, de 15 à 22 ans, sur leurs vies personnelles, leurs ressentis, le tout filmé dans un studio d'Epinay, et non pas dans la rue.
Car le procédé est en soi très proche du Joli mai ou Chronique d'un été, à savoir interroger des gens, des inconnus devrais-je dire, car ici, aucune des personnes n'est nommée.
C'est une jeunesse trouble que nous voyons, qui veut s'émanciper du joug de leurs parents, qui ne veulent pas vivre comme eux ont vécu, aussi bien sentimentalement que professionnellement. Alors bien sûr, sur ces onze personnes, certains se dégagent du lot. Comme cette vendeuse en boulangerie qui a eu un bébé toute seule et qui à cause de ça va être rejeté par sa famille, un jeune homme en costume trois pièces fils de patron, une fille de seize ans extrêmement timide dont les mots n'ont pas l'air de sortir de sa bouche, un apprenti ouvrier qui découvre l'horreur du travail à la chaine, et en particulier une dactylo qui est ce qu'on pourrait appeler une dévoreuse d'hommes.
Elle représente quelque part une modernité incroyable pour une fille de 1963, à savoir qu'elle ne veut pas se marier, sauf à un grand bourgeois qui lui assurerait un confort matériel, pas d'enfants, mais qui a un fort appétit sexuel, couchant avec des garçons dont elle n'est pas forcément amoureuse, qui a même essayé le triolisme, et qui semble droit dans ses bottes. C'est une liberté aspirée par des femmes actuellement, où elle jouit de son corps comme elle l'entend, mais qui malgré tout a l'air combler une certaine solitude. Du documentaire, c'est peut-être son portrait qui m'a le plus frappé, on l'imagine être féministe dans les années à venir, notamment à l'occasion de Mai 68.
Bien que ça se passe dans un lieu clos, tout noir, où seul les gens sont éclairés et filmés, il y a quand même un travail de mise en scène de Blier, avec les voix off qui peuvent se décaler par rapport au propos, une caméra qui entoure les interviewés, laissant apercevoir quelques instants l'équipe technique, dont le réalisateur, et même le plafond du studio qui ressemble à une grille de prison, passage évoqué par l'un d'entre eux pour le vol d'un sac à main.
Quant au titre, on reconnait bien là Bertrand Blier qui est une provocation en soi, car il n'est jamais question du dictateur, à peine deux allusions à cette époque, il n'y a d'ailleurs aucune mention à la politique, car rappelons qu'à cette époque, la majorité et le droit de vote étaient à 21 ans.
Le montage est également intéressant, car il peut faire intervenir certaines personnes pour un propos en particulier. Notamment cette jeune femme croqueuse d'hommes qui, dès qu'elle se dévoile, montre les hommes soit se recoiffer, se remettre la cravate ou se mouiller les lèvres comme pour manifester une envie ! Alors que ce sont des moments hors propos...
Même si c'est aussi bien le premier film que son dernier documentaire, paradoxal en soi, on reconnait quelque part des personnages qui pourraient sortir de la tête de Bertrand Blier. Il y a quelque chose de matriciel dans tout ça qui rend le film très intéressant, et où je ne me suis pas ennuyé une seconde.