Les reproches d’abord. Le ton de bondieuserie pralinée endommage le titre de ce bon téléfilm double de 3 heures, qui ne relate que la biographie pré-1933 du dictateur nazi. Le montrer en permanence dans l’hystérie, la rustrerie, voire la pédophilie, est également un discrédit idiot, lorsque les témoignages s’accordent à lui reconnaitre une courtoisie, une galanterie ou une finesse dans sa vie privée, comme c’est honnêtement montré dans «La chute».
A part ces bémols, je dis chapeau. Relever le défi terriblement casse-gueule de décrire l’enfance, la jeunesse, les tâtonnements, les erreurs, l’éloquence émergeante, et bien sûr l’accession au pouvoir d’un aussi tristement célèbre assassin de l’histoire, étant donné les passions et tabous politico-religieux que le nazisme suscite encore, ça s’avérait délicat.
Après, pourquoi s’acharner, me suis-je dit, à perpétuer d’aussi tristes mémoires ? Ici la réponse frappe dans l’inexorable progression de Hitler, et des analogies avec bien d’autres installations de dictatures dans l’histoire. Alors pourquoi pas ? On a bien dédié des œuvres entières sur de pires personnages dans l’encyclopédie de nos chers politicards. L’équation périlleuse de la mise en scène consiste ensuite à filmer un «héros», enfin, un personnage principal, sans jamais l’humaniser, à réaliser l’effrayante ascension de son parcours, tout en respectant l’histoire et en trouvant un comédien convaincant.
Robert Carlyle incarne parfaitement le despote embryonnaire, ses premiers crimes et manœuvres, le harangueur passionné, ses chutes et ses victoires, l’antisémite psychopathe, ses contrôles progressifs des medias et communications, l’ambitieux enragé, qui inventera une forme antisémite personnelle de socialisme défenseur du peuple à mouture nationaliste. Ca me rappelle carrément le présent. Après une première partie consacrée à l’inanité d’un putsch politique, la seconde démontre que c’est bien la légalité des élections et la sollicitation de l’homme de la rue qui garantissent bien plus efficacement la légitimité d’un tyran au pouvoir. La situation actuelle pourrait s’y comparer aussi. Prenons une nation méthodiquement paupérisée par un programme politique auquel est soumise l’aristocratie en place, une souffrance populaire devenue insoutenable, une fragmentation bananière du monde politique, un encouragement facile à la peur, au racisme et à la promesse d’une révolution populaire, et le terreau est prêt. Ca ne vous rappelle rien ça?