Rarement cité parmi les maitres du cinéma japonais, Hideo Gosha déballe pourtant, dans chacun de ses plans, un savoir faire à laisser déborder de jalousie n’importe qu’elle forme de concurrence. Dans « Hitokiri », chaque plan paraît être issu du reflet d’une arme blanche, chaque raccord semble avoir longuement été aiguisé, chaque action tranche le récit. Chose guère étonnante, sachant que déjà cinq années plus tôt, c’était le même réalisateur qui nous donnait à voir « Le Sabre de la bête », véritable maestria de mise en scène au service d’un chambara voué à l’implosion, inhabituellement très proche du western américain. « Hitokiri » est au moins aussi sombre, narrant l’histoire d’un ronin avec lequel nous allons assister à l’annihilation du code d’honneur des samouraïs par le système féodal. Comme dans « Le Sabre de la bête », nous retrouvons donc ici la destruction d’un idéal, de valeurs fondamentales, mais aussi un tueur à la fois extatique et tartufe, refusant de voir la politique s’immiscer dans ses méthodes.
La destruction, ici, c’est donc avant tout celle du mythe du samouraï enclin à la sagesse, à l’honneur. Le héros d’« Hitokiri », Izo Okada, implicitement comparé à un chien de garde, est un ivrogne naïf, se jurant d’hurler « CHATIMENT ! » lors de chacune de ses exécutions, mais qui rapidement va s’affranchir de cette promesse qu’il n’a pourtant fait à personne d’autre qu’à lui-même. Il exécute aveuglément, passe le plus clair de son temps avec une prostituée, et est présenté dès l’introduction comme un piètre samouraï incapable de contenir ses propres pulsions de violence… En bref, sur l’échiquier du shogun, il n’est qu’un pion, mais il se prend ouvertement pour un cavalier. Il est convaincu qu’il est socialement important, et c’est là qu’« Hitokiri » s’accapare d’une morbidité de bon aloi, puisque si nous suivons le bourreau, le véritable meurtrier n’est ici, bien sur, autre que le système politique où une classe de quelques privilégiés se sert des classes populaires, les manipule pour asseoir son ascendance en leur faisant miroité honneurs et prestiges, ici traités comme des illusions.
Outre un casting à triple tranchant (Shintarō Katsu, Tatsuya Nakadai, et… Yukio Mishima !!!) et la destruction d’un idéal via la critique sociale et une représentation absconse du mythe du samouraï, « Hitokiri » vibre d’une réalisation au cordeau, comme l’atteste cette démentielle scène d’affrontement sous la pluie, au début du film, ces zooms impressionnants de robustesse, ces cadrages d’une sophistication vive, faisant couler encore un peu plus le sang du récit. Il y a par exemple cette scène en montage alterné où Izo Okada tue un homme, parallèlement à son maitre dessinant paisiblement une estampe, et pendant ce temps, le sang se mêle au ténèbres d’une nuit pluvieuse. In fine, tout du long, ce n’est autre qu’une destruction identitaire par la voie du meurtre et un assujettissement aveuglé par la politique qui régie les mouvements d’« Hitokiri ». Une œuvre dense, brillante et outrancière, où les codes n’ont plus de valeur et où l’honneur n’a plus d’importance. Perversion, et pluie, pluie, et encore de la pluie. Qu’il pleuve à n’en plus finir ! De toute façon, pour voir ce film, il faut déjà commencer par le retrouvé mort. De préférence dans une flaque rouge, où rien d’autre ne se reflète que notre vénérable tête.