--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au quinzième épisode de la cinquième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/Secret_of_the_Witch/2727219
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---
Ma « chasse aux sorcières » est dans les choux depuis un moment, enchaînant les films dans lesquels elles ne font qu’une vague apparition, à ceux dans lesquels elles sont complètement stéréotypées, on s’éloigne un peu de ma mission première, qui était de mieux les connaître. On s’éloigne aussi de cette question qui me turlupine depuis le début du mois, toute simple pourtant : mais au fait, c’est quoi une sorcière ?
Et oui, car malgré le fait qu’on connaissent tous leurs attributs les plus fréquents (le long nez crochu et le chapeau pointu, le chaudron bouillonnant et le balais volant), je n’ai depuis le début du mois jamais entrevu de limite commune à leurs pouvoirs. Certaines sont satanistes, certaines métamorphes, il y a celles qui récitent des incantations quand d’autres sont plutôt branchées potions magiques. La plupart restent de simple affabulations de citoyens superstitieux. Et ça ne fait que renforcer mon questionnement : si on est allé jusqu’à brûler des femmes en place publique en les accusant d’être des sorcières, les gens devaient bien savoir, ou supposer, de l’ampleur de leurs capacités, ce qu’elles étaient capables ou non de faire ? On a pas pu décemment penser que des femmes dont le pouvoir n’a absolument aucune limite sont capable de se laisser avoir par une bande d’humains ordinaires et exécuter sans sommation. Si j’avais un pouvoir infini, je pense que la première chose que je ferai, serait d’éviter la mort… Les vampires, les lycanthropes, même la créature de Frankenstein, tous ceux qui ont visité mes derniers mois de Novembre, bien que très puissants, avaient des caractéristiques nettes, des capacités que n’avaient pas les autres, et des restrictions qui faisaient leurs faiblesses. Mais les sorcières, semblent capables de tout…
Et si le film de ce soir ne m’apporte pas particulièrement de réponse, il me propose néanmoins quelques pistes intéressantes à creuser, en plus de renouer, à mon grand plaisir, avec le principe du mois-monstre, c’est à dire de visionner des films qui parlent au premier plan du monstre en question.
Certes le film joue à déjouer même les faits les plus quantifiables, ce sur quoi l’Histoire s’accorde à apporter du crédit. Nous sommes dans la ville de Salem, quelque 300 ans après les terribles procès de sorcellerie qui s’y sont déroulés, mais ici point de massacres massifs, simplement une triplette de trois sœurs sorcières. Et c’est tout, la ville n’a, de ce qu’on apprend, jamais connu autre cas de sorcellerie. Encore une fois, voila un début bien décevant. Si on simplifie autant la réalité, je n’ose imaginer ce qu’on fera de l’imaginaire. Mais à ce jeu là, le film ne s’en sors pas si mal, car celui-ci s’emploie à ré-employer les grandes thématiques de la sorcellerie, sans jamais oublier de les détourner, contourner, renverser, avec une légère pointe de malice et de filouterie. Tout repose sur un principe simple : 300 ans plus tard donc, dans une ville qui joue toujours à se faire peur avec une superstition à demi véritable, le héro fait revenir par mégarde les trois sorcières maudites, le soir d’Halloween. S’opposent alors avec grande efficacité les maléfices réels de nos bonnes amies, et ceux factices de la fête d’Halloween. Avec pour apogée de cette dualité, cette scène géniale lors de laquelle les sorcières -ayant compris ce qu’était devenue Halloween en s’emparant avec habileté de la dérision collective vis-à-vis de la magie noire- détournent le discours alertant du héro pour prendre le devant de la scène et amuser la foule : elles sont alors si profondément elles-mêmes, si naturellement des clichés de leur propre condition, qu’elles disposent alors du plus parfait des déguisements pour accomplir leurs maléfices aux yeux de tous, sans être vues. On atteint, enfin, ce moment que j’adore dans le mois-monstre, ou celui-ci se regarde lui-même à travers l’imaginaire collectif, constate les dégâts, et s’empare de la situation pour la tourner malgré tout à son avantage. Et cette fois, pas besoin d’être un cinéphile mono-maniaque pour comprendre toutes les références faites à la légende : la sorcière hante tellement massivement l’univers pseudo-horrifique, pas seulement à travers le cinéma, pas seulement à travers les arts en général, mais partout, des bannières féministes aux rayons déguisement des grandes surfaces, que le film est à la fois ultra-lisible et diablement intelligent. Un film futé appréciable par tous, ceux qui me connaissent un peu savent que c’est le combo parfait pour me laisser enthousiaste et pleine d’admiration.
Ajoutez par là-dessus l’esthétique doucement kitsch qui m’enchante du teen-movie (à son apogée en 1993), une référence plutôt appuyée et pourtant tout en élégance à *Edward aux mains d’argent*, une tentative auto-dérisoire de modernisation de la légende avec un vol à dos d’aspirateur, un chat noir pas comme les autres, une photographie habile à mi-chemin entre classicisme maîtrisé et inventions audacieuses, et une partition musicale dans le même goût, et vous aurez tout un aperçu de mon enthousiasme à l’issue du film.
Dernière digression (je vais partir loin, si ça ne t’intéresse pas fui maintenant et ne te retourne pas) : je parlais de la musique, je me dois d’en dire quelques mots de plus. Une musique donc comme je le disais majoritairement efficace et attendue, mais ne manquant pas de quelques coups de projecteurs mettant en scène son inventivité. Premier cas, évidemment, cette reprise que j’ai déjà évoquée à demi-mots plus haut, du tube « I put a spell on you », travesti pour être lu au pied de la lettre, à la fois diablement bien pensé et superbement interprété. Mais ce n’est rien face au second éclat de grâce de l’œuvre de John Debney. Vers la fin du film, l’une des trois sorcières (interprétée par ailleurs par la divine Sarah Jessica Parker), envoûte les enfants de la ville avec une comptine, sobrement intitulée « Sarah’s song » (oui, son personnage s’appelle également Sarah). Thème admirable, moment de poésie formidable, à la fois glaçant et sublime, laissant le spectateur aussi envoûté que s’il était lui même la victime du sort chanté. C’est beau, et pour moi l’instant résonne plus fort encore que je connais ce morceau depuis longtemps à travers la version d’Erutan. Par ailleurs, les chanteuses indépendantes d’internet tiennent en coulisse un grand rôle dans le mois-sorcières, puisque c’est un titre de Karliene, « All the magic » qui m’a ouvert les portes de la sorcellerie, et mon obsession pour un autre titre d’elle, « Witch » qui m’a réellement déterminée à déclencher le mois-sorcière. Morceau qui, d’ailleurs, continue de rythmer le monstrueux marathon cinéphile (car on n’a jamais si bien parlé d’elles que dans ce titre, n’en déplaisent à tous les films que j’ai découvert ces 15 derniers jours). Bref, revenons d’un cran en arrière dans la digression, suite à cette double découverte sublime de la double existence du titre Come Little Children/Sarah’s Song, et sachant que l’autre morceau chanté du film, I Put A Spell on You, est indéniablement un reprise, je me suis mise en tête de découvrir d’où venait ce titre-ci, qui en était l’interprète/compositeur initial, et si Erutan reprend finalement cet artiste originel ou le film de Disney. Et là je suis tombé face à une véritable sorcellerie : il n’y a pas de compositeur. Si le premier couplet est facilement attribuables aux compositeurs du film, Erutan en chante pas moins de trois autres, et personne ne sait qui les a écrits. Ils semblent avoir toujours été là, Erutan les a trouvés l’attendant là et les as mis en musique. Comme si le grand sorcier Internet, ce grimoire magique virtuel, avait lui même généré cette étrange incantation.
Ou bien comme si, à l’image des sorcières du film de ce soir, mes amies les sorcières modernes avaient déterminé que la meilleur façon de se dissimuler, quand on est un monstre à la si grande popularité, c’est de ne pas se cacher. Comme si elles avaient volontairement laissé traîner leurs sortilèges dans les pages du web, et laissé les plus talentueuses d’entre elles envoûter, pas vidéo youtube interposées, les internautes du monde entier. Se proclamer publiquement sorcière, pour que le ridicule de cette annonce dissimule à la perfection sa véracité. C’est fourbe, génial et élégant. Comme elles.