Amanda Sthers surprend, épate, charme. Holy Lands est son troisième long-métrage après Madame en 2017, au casting international tout aussi prestigieux et Je vais te manquer en 2009. Sorti en France le 16 janvier 2019, Holy Lands est l’adaptation du propre roman de la cinéaste intitulé Les terres saintes, publié 9 ans auparavant.
Holy Lands navigue entre les membres névrosés d’une famille dysfonctionnelle américaine. Harry le père de famille, ancien cardiologue et juif apostat, campé par le vieillissant James Caan, décide de tout plaquer pour élever des cochons en Israël, ce qui déplaît fortement à la population locale et à son entourage. La communication avec son ancienne vie est essentiellement épistolaire. Son fils David (Jonathan Rhys-Meyers), dramaturge rabaissé par la critique, entretient à sens unique ce lien étroit avec lui, tandis que sa fille Annabelle (Efrat Dor) change de destination suite à un chagrin d’amour, en perpétuel mouvement, incapable de se fixer. Son ex-épouse Monica quant à elle, incarnée par l’étonnante Rosanna Arquette, est le déclencheur d’un bouleversement déterminant. Malade, il ne lui reste que peu de temps pour appréhender la fin, arpenter ses souvenirs, épauler ses enfants dans la démesure et le désespoir et ramener à la raison une dernière fois son ex-mari.
Le film ne tient pas toutes ses promesses que le spectateur est censé attendre, mais rien ne le rend grossièrement inachevé. Du début à la fin, nous sommes avec la galerie de ces personnages dans leur quête de l’apaisement de soi, constamment tourmentés par le manque de réponse de la part de Harry, aigri et se complaisant dans la solitude avec ses bêtes. A noter l’apparition de Raphaël Mezrahi en vétérinaire, disposé à le conseiller pour un meilleur élevage.
L’arrivée du Rabbin Moshe Cattan, interprété par Tom Hollander connu pour Pirates des Caraïbes et Orgueil et Préjugés, est d’abord une menace à la tranquillité d’Harry pour l’exploitation de ses cochons en terres saintes. S’ajoute à cela, la mise en garde d’un prêtre criant au sacrilège de vivre sur ces terres, celles du sauveur Jésus Christ et où un seul verre d’eau proposé par Harry est propice à la tentation. Rapports hostiles notamment à travers des échanges écrits soulevant le comique touchant du film, Harry et Moshe développent une affection réciproque et se confient l’un l’autre sur la vie. Lors d’une invitation pour Shabbat chez Moshe, Harry se plie aux coutumes de la religion et apprend à ce même moment par téléphone la maladie fatale dont souffre son ex-femme. Au cœur de la famille du Rabbin, Harry dévoile sa sensibilité et ses rancœurs et créé le début de son amitié improbable avec Moshe, avant d’entreprendre son voyage initiatique en sa compagnie.
Tourné en décors naturels (Canada, Belgique, Israël), la photographie est douce, avec des tons neutres ou plus froids. Lumineux et ensoleillé, la séquence contemplative d’une escapade en voiture dans le désert dévoile toute la poésie de la relation entre les deux hommes. Ensemble dans le cadre, Harry et Moshe discutent religion au bord de la plage, masque de beauté, peignoir blanc, seuls. Sur la route, le morceau “Many Rivers To Cross” de Jimmy Cliff fait son entrée intradiégétique (radio). Regards complices et le cœur tendre, ils chantent à l’unisson.
De l’autre côté de cette frontière, David fait face au refus de sa demande d’adoption. Homosexuel et artiste à la dérive, sa situation est bancale et sa relation avec sa mère se désagrège, jusqu’à ne plus la voir dans les derniers instants, au regret de son amant. Annabelle capture les moments éphémères de ses rencontres à travers l’objectif de son appareil photo, mais emporte avec elle le plus beau souvenir : un futur enfant. La matriarche de la famille aspire au bonheur et à la réunification des siens, quand celle-ci s’éteint dans les bras de son médecin Michel (Patrick Bruel), qui l’a toujours aimé.
Les sentiments éclatent et les émotions fusent à l’intérieur de ce dont traite Holy Lands : se dire “je t’aime” . L’œuvre cinématographique de Amanda Sthers se referme avec la voix off de Harry sous la forme d’une confession écrite à son fils sur la vie rêvée qu’il désirait pour lui, aux côtés d’une jolie blonde, après 6 années de silence; les adieux de David à sa mère dans sa pièce théâtrale contemporaine autobiographique et le nouveau-né de Annabelle. Un membre part et laisse place à un nouvel arrivant. Séquence bouleversante qui prend fin avec un roman-photo en noir et blanc est digne à s’y méprendre d’un véritable hommage. “Smile” de Keren Ann aux tons jazzy berce le générique de fin mélancolique.
Opéré par des cuts sans fondu, montage dans la continuité logique du récit, la mise en scène manque certes d’ambition, mais l’esthétique simple toutefois stylisée égale la justesse des relations humaines dépeintes dans le film. Les portes qui claquent ou ne s’ouvrent pas enferment (surcadrage) et distancient nos personnages. Harry transgresse sa limite envers Moshe et David face à la détresse de sa sœur dans la dernière partie.
Holy Lands dresse un tableau sincère et poétique de la cellule familiale, d’une romancière française devenue cinéaste et scénariste sur ses propres films. Mention spéciale pour Tom Hollander qui en est la révélation, malheureusement trop peu vu au cinéma. Soutenu par les aides du CNC et distribué par Studio Canal, nous pouvons saluer et défendre cette œuvre confidentielle, teintée de maladresses pardonnables qui suscitent le charme de l’imperfection.