Interview exclusive

- Bonjour, Dieu. Vous venez de faire le plus grand film de cinéma jamais vu depuis Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures ou encore Tree of life. Quel effet ça vous fait de conquérir le monde?
- Oh je ne suis pas surpris, c'est exactement ce que je voulais. C'est drôle que vous parliez de ces films, il m'ont beaucoup inspiré, dans leur façon de donner du sens aux choses et de mettre en lumière les émotions cachées.
- Ah oui, formidable. Je pense à cette scène au bord du toit de la Samaritaine, d'une beauté tragique comme à l'avant d'un paquebot qui va couler... Votre film évoque d'une certaine manière la disparition?
- Oui, la disparition du temps, de l'amour, des animaux, de la planète et du cinéma. C'est aussi une façon de parler de la mort, cette issue fatale promise à tous, pauvres mammifères que nous sommes. C'est le message profond de mon oeuvre.
- Et elle est sublime!
- Oui mais pas seulement. Je pense que les gens ont une vie médiocre et qu'ils ont besoin de divertissement. Je voulais traiter le néant de l'existence avec originalité. J'ai longtemps réfléchi à le rendre vivant, mais d'une manière visuelle. D'où l'érection de Denis Lavant allongé, ou encore les voitures qui parlent.
- Oui, j'allais vous parler de cette scène grandiose. D'où vous est venue cette idée de faire parler les voitures?
- C'est simple, j'ai moi-même une voiture qui parle. Quand on n'a soi-même plus grand chose à dire, les voitures prennent le relais, vous savez. On se rend compte alors de la toute puissance des machines sur l'Homme. Ca rejoint le thème de la disparition et du retour aux origines, ainsi que j'ai voulu le transmettre à travers ces chimpanzés touchants qui font coucou par la fenêtre.
- Ah oui, formidable, je n'ai pas pu m'empêcher de verser une larme. A ce moment j'ai pensé "Nous les humains, nous ne sommes que ça : des simples chimpanzés qui font coucou par la fenêtre". C'est bouleversant.
- Oui. C'est un rêve que j'avais fait, un soir où j'allais mal. Je me suis levé à 3h du matin et j'ai écrit ce passage, c'était pour moi une façon d'exorciser mes cauchemars. L'art sert aussi à ça. L'expulsion de nos propres névroses. Je suis heureux d'avoir gardé cette scène, elle apporte une touche de mélancolie. Mais je vous rassure, aucun animal n'a été blessé pendant le tournage!
- Merci de le préciser, je pense que le spectateur est sensible à ce sujet. Mais si vous le voulez bien, revenons à l'érection de Denis Lavant. Pourquoi une érection aussi longue?
- Vous savez, le désir est universel. Je pense que tout le monde a déjà eu une érection, et par cette image, j'ai voulu rendre mon cinéma plus accessible, plus humain. Plus démocratique en quelque sorte. Je suis très travaillé par la question de l'animalité de l'homme et surtout, la masturbation : c'est un avantage que nous avons sur les chimpanzés. La branlette intellectuelle, c'est ce qui marque notre différence, la supériorité de la pensée sur les choses primaires.
- C'est magnifique ce que vous dites. A ce propos, comment envisagez-vous le succès de votre film en province?
-C'est une question délicate. Je pense qu'au-delà du 11e arrondissement on ne soit pas totalement en mesure de saisir l'essence de mon art. Excepté peut-être Cannes et Avignon, pendant les festivals.
- Hélas, ces pauvres gens ne savent pas ce qu'ils ratent! Nous ne pouvons pas leur en vouloir, cela dit. Ils sont victimes de l'ignorance et de l'inculture, ces grand maux qui font beaucoup de mal au cinéma français. Merci beaucoup, Dieu, pour cette interview qui éclaire un peu plus votre art incompris.
- Merci, merci. Et vive le cinéma !
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le 12 juil. 2012

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