Holy brius
L'étrange est sans doute la notion la moins bien partagée au monde.
Expliquez à vos proches (enfants adolescents, voisins) gavés de télé-réalité ou de téléfilms avec Thierry Neuvic, qu'en plein après-midi vous allez vous enfermer dans une pièce pour y regarder sur grand écran le dernier Carax (et comme ils ne voient pas de quoi vous parlez, vous leur montrez la bande-annonce) et vous ne serez plus jamais regardé de la même manière (cela dit, ça fait longtemps que mes enfants me regardent bizarrement).
A l'autre extrémité du spectre, cliquez sur "je regarde Holy Motors" sur Senscritique, et les adeptes forcenés du B, du Z, du nanar somptueux ou autre bizarrerie asiatisante (non, je ne parle pas forcément de toi, Drélium…) vous traiteront de spectateur bourgeois consensuel.
J'avais tellement entendu parler de ce film que je savais à peu près à quoi m'attendre, ce qui n'est pas un mince exploit concernant cet effort artistique. Il ne me restait qu'à savoir si j'allais être sensible au charme du métrage où au contraire me montrer allergique à la prétention du réalisateur.
Allez: pipi, Lavant et Holy !
De charme, point. D'envoutement, aucun. Si un Lynch est capable de bâtir un film autour d'une scène dont il a eu une vision, ce dernier parvient à nimber le tout d'une atmosphère onirique avec parfois un humour dont est totalement dépourvu le film de Carax. Une succession de scènes dont le trait d'union est si artificiel qu'il sonne comme un aveu d'impuissance poétique. Me souvenant de cette sentence définitive (et malheureusement sans même un deuxième degré salvateur) d'un journaliste des Inrocks exalté (pléonasme ?) lors du festival de Cannes: "après Holy Motors, toutes les images sont impures", je dois avouer cette déception supplémentaire: le film est globalement laid.
Pour quelques fugitifs moments étonnants (la danse érotique des OS en motion capture, quelques plans dans la Samaritaine) de longues minutes cataloguant un empilement d'idées disjointes à l'esthétisme crasseux.
Et ce n'est peut-être pas si étonnant que Carax fasse dire à Piccoli que "la beauté se trouve dans l’œil du spectateur". Ce n'est sans doute que le même aveu voilé que celui que j'évoquais plus haut: si je n'y arrive pas (a créer du beau), faites le vous-même.
Mais curieusement, et contrairement à d'autres tentatives prétentieuses, je suis sorti de cette séance sans agressivité aucune. Une envie paternaliste même, de souffler au réalisateur "allez, c'est pas grave, tu n'y arrives toujours pas, mais c'est très bien de continuer d'essayer".
Restent les gorges chaudes de la presse qui peuvent irriter. Mais quitte à se tromper, je préfère encore que ce soit sur une tentative de ce type que sur une production U.S. décérébrée.
Une pipe et Holy !
Enfin au chapitre des choses qui me fascinent quand je vois un film comme celui-là, c'est d'imaginer le dialogue entre Eva Mendes et son agent: "alors Eva, je te propose un film français d'un réalisateur qui n'a pas tourné depuis 12 ans dans une scène ou tu seras au fond d'une grotte avec un acteur vilain, nu et en érection qui mange des billets".
La réaction d'Eva est logique: fuck yeah, let's do it !"