Home. La maison. Chez soi. L'enceinte inviolable. L'abri suprême. En principe. Pour son quatrième long-métrage, la réalisatrice belge Fien Troch (née en 1978) centre son scénario sur un groupe de quatre adolescents, parmi lesquels deux sont confrontés à un problème de "maison" : Kevin (Sebastian Van D'un), à sa sortie de prison, se voit écarté de la demeure familiale, du fait de ses conflits de plus en plus violents avec son père, et recueilli par sa tante maternelle. Maison interdite, au point qu'on lui refuse le droit, "pour l'instant", de rencontrer, même à l'extérieur, son jeune frère, auquel il est pourtant uni par un lien fort. Kévin effectuera, auprès de son oncle, une formation de plombier, pendant que son cousin, Sammy (Loïc Batog), sous le même toit, est poussé vers des études longues... Un ami des deux cousins, John (Mistral Guidotti), vit, dans le secret, un enfer familial, puisqu'il est à la fois constamment humilié par sa mère et régulièrement abusé par elle. Maison dynamitée, inhabitable (John tente d'ailleurs, en vain, d'être également hébergé par les parents de Sammy...), au creux de laquelle son propre espace intime, corporel et psychique, se trouve régulièrement violé.


Dans la lignée de Larry Clark, la réalisatrice s'approche au plus près de ces adolescents, dont elle adopte le point de vue, allant jusqu'à intégrer, au montage, des scènes librement filmées par ses acteurs, entre eux, à l'aide de leur smartphone. Elle dévoile ainsi toute une façon d'être, un rapport à l'existence, dont la richesse et la complexité semblent totalement insoupçonnées des adultes. Adolescents et adultes paraissent ainsi évoluer dans deux mondes cloisonnés, aussi peu miscibles que l'eau et l'huile, dont le petit frère de Kevin évoque, lors de leur unique rencontre, le mélange impossible. Les seules passerelles occasionnellement jetées sont faites de violence (John et sa mère) ou d'incompréhension (surdité de la mère de Sammy au timide appel à l'aide lancé par John, incommunicabilité dans la scène d'ouverture, entre le Proviseur et la petite amie de Sammy...).


On ne saurait s'étonner de ce que tous ces circuits arrêtés explosent finalement en une scène d'une rare violence. Violence d'autant plus impressionnante, pour le spectateur, que les rouages habilement mis en place par le scénario, la rendent largement compréhensible, à défaut, bien entendu, d'être excusable...


Sur ce monde aux teintes ternies, comme légèrement décolorées, la réalisatrice, secondée au scénario par son mari, Nico Leunen, porte un regard grave, affranchi de tout préjugé ; c'est ainsi que les premières scènes au cours desquelles un adulte fait preuve de perspicacité sont celles, policières, où un enquêteur (Jan Hammenecker, parfait, déjà vu dans "Quand la mer monte" ou "Alabama Monroe") manifeste une clairvoyance bienveillante, qui semble enfin rejoindre le personnage de John et lui procurer quelque apaisement. Un apaisement bien paradoxal, puisque l'adolescent se trouve alors incarcéré, retenu dans ce qui se présente comme un centre de redressement. Il n'empêche : les démangeaisons qui le tourmentaient dans toute la première partie du film et provoquaient l'exaspération de sa mère ont cessé et l'adolescent jouit enfin, au sein de cet espace pourtant contraignant, d'une quiétude au creux de laquelle sa propre intimité, corporelle, n'est plus forcée. Protection paradoxale mais effective, parfois, dans l'enfermement, d'où l'accès à une forme de liberté...


On mesure ici toute l'audace, la force calme, sans tambour ni trompette, avec lesquelles Fien Troch parvient à mettre en mouvement le regard arrêté, trop souvent porté par les adultes, sur la vie adolescente. Afin de ne pas se voir renvoyée à son seul imaginaire, la réalisatrice a tenu à faire figurer, à l'incipit de son film, une mention signalant le caractère véridique des événements rapportés.


Hommage doit enfin être rendu à l'exceptionnelle qualité de ses jeunes acteurs, tous non professionnels, avec une mention toute particulière à son duo de tête, formé par les deux figures qui portent véritablement la problématique du film.

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le 2 sept. 2017

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